SMART GRIDS : ENJEUX D’ACCEPTABILITE ET CONDITIONS D’APPROPRIATION (Atelier)


AXE ENGAGEMENT, MOBILISATION, CONCERTATION

Smart grids et « responsive consumer ».

Alain NADAÏ (CIRED/CNRS)
Catherine GRANDCLÉMENT (EDF R&D/GRETS)

Notre contribution s’intéresse à l’émergence d’un nouveau type de consommateur dans le secteur de l’électricité, que nous choisissons de nommer «responsive consumer». L’adjectif «responsive» renvoie à l’idée de « demand-response », un terme utilisé par les acteurs du secteur de l’électricité pour désigner la possibilité pour la demande d’électricité – et donc, pour le consommateur d’électricité – de devenir réactif aux signaux prix. Ce consommateur réactif est réceptif à des incitations prix, capable de contribuer à l’effacement des pointes de consommation en modulant sa demande et en déplaçant ses usages dans le temps, afin de prendre part à l’équilibre du réseau électrique. L’adjectif « responsive » renvoie aussi à l’idée de responsabilité, qui suggère qui une pris en compte de la dimension environnementale au travers d’une attention à la consommation d’énergie. Le consommateur « responsive » pourrait donc également répondre à des signaux non-prix tels que la congestion du réseau, l’origine de l’électricité (renouvelable ou non), etc.
Dans le secteur de l’énergie, le réseau intelligent est l’objet technico-économique autour duquel s’articule la construction de ce consommateur. Des investissements importants ont été engagés dans ce domaine par les gouvernements, les acteurs de la filière électrique et des technologies de l’information en Europe et aux États-Unis. Le réseau intelligent est un réseau bi-directionnel, capable de transporter des flux bidirectionnels d’énergie et d’informations en temps réel, ouvrant ainsi de nouvelles possibilités pour la gestion du réseau électrique.
Depuis 2011, un enjeu majeur de l’émergence de ces réseaux dans les documents politiques de l’UE est la construction du futur consommateur. Par bien des aspects, ce futur utilisateur est positionné comme l’entité nécessaire à la viabilité des réseaux intelligents. Sa construction est au cœur des visions et des modèles d’affaires émergents autour de ces réseaux. En France et dans l’UE, ces visions se concrétisent au travers d’une politique de ‘démonstration’ visant à faire émerger un marché dans ce secteur à partir de la recherche. Les ‘démonstrateurs’ sont les sites au travers desquels est construit le nouveau consommateur tout autant qu’articulée la politique censée le porter à existence.
Notre contribution rend compte d’une recherche en cours. Elle propose un cadre d’analyse, inspiré de la sociologie acteur réseau, qui permette de suivre la construction du « responsive » consommateur à partir des sites de démonstration, tout en tenant compte de leur insertion dans la politique de démonstration de l’UE et de la France.
Nous procédons en trois étapes. Dans un premier temps, nous présenterons notre matériau et notre cadre d’analyse. Nous nous tournerons ensuite vers l’analyse de l’articulation consommateur / démonstration dans la politique européenne puis française des réseaux intelligents. La troisième partie se concentrera sur la controverse relative au rôle du consommateur dans le développement du compteur intelligent « Linky » en France.

MOTS CLÉS : électricité, « responsive consumer », smarts grids, Union Européenne, France.


Acceptation sociale ou conditions socio-politiques, collectives et marchandes de développement d’innovations dans le domaine de l’énergie ?

Pierre FOURNIER (Aix-Marseille Université/LAMES, UMR 7305, CNRS)
Frédéric RYCHEN (Aix-Marseille Université/GREQAM, UMR 7316, CNRS-EHESS)

Les questions d’acceptation sociale sont évoquées à propos de propositions techniques et économiques qui, censées répondre à des problèmes, provoquent une opposition forte de la part des utilisateurs ou des usagers potentiels. Le porteur de projet a tendance à analyser cette opposition comme le rejet d’une solution pourtant satisfaisante de son point de vue. La notion d’acceptation sociale est alors convoquée pour comprendre les motifs « sociaux » de rejet et, après identification, pour trouver des dispositifs de contournement ou de compensation afin d’entraîner une adhésion au projet proposé qui pourra conduire à sa mise en œuvre.
L’écueil le plus fort dans cette manière d’appréhender la problématique d’acceptation sociale et dans la manière d’y convoquer les sciences humaines (souvent comme intermédiaires vers la sollicitation du soutien de l’action publique) est la croyance en la robustesse de la solution technico-économique proposée et dans l’espérance que l’adjonction de dispositifs socio-politiques, tels que des séances d’information ou de débat, des cadres d’injonction… seront susceptibles de faire comprendre la rationalité profonde du projet et ainsi de faire disparaître la majorité des oppositions.
Notre proposition, établie sur l’exemple de déconvenues autour de projets de smartgrid et d’utilisation de di-hydrogène pour enrichir un combustible au gaz, est de considérer que la question d’acceptabilité sociale est plus complexe et renvoie souvent à des problèmes posés unilatéralement et à des dispositifs technico-économiques mal calibrés. L’acceptabilité « sociale » des projets est en fait multi-dimensionnelle et peut se décliner de façon plus adaptée en une acceptabilité socio-politique, une acceptabilité collective et une acceptabilité marchande.
- L’acceptabilité socio-politique recouvre l’implication de dispositifs d’aide et de promotion, de régulations qui structurent la communication, l’environnement réglementaire et les incitations de tous les acteurs autour du projet pour obtenir des modifications des conduites.
- L’acceptabilité collective se construit en référence aux effets locaux du projet sur une communauté, qui agrègent à la fois ses effets directs et l’ensemble des externalités, positives et négatives, bénéfices et complications, par lesquels les conditions de vie d’un certain nombre de personnes sont modifiées ou affectées par le projet.
- L’acceptabilité marchande fait référence à l’adhésion d’une demande et à la capacité du projet à proposer une valeur ajoutée claire sous forme d’usages, de produits ou de services correspondant à la satisfaction de besoins à naître ou à l’amélioration de la satisfaction de besoins identifiés. Sans perdre de vue que la perspective marchande ne fait leur part qu’aux inégalités de ressources économiques pour envisager cette satisfaction alors que les marquages du prestige social ou de l’appartenance ethnique, de la reconnaissance éthique… peuvent être d’autres moteurs de l’engagement individuel dans la pratique nouvelle.

MOTS CLÉS : Acceptation sociale, marché, expérimentation, hydrogène, smart grid.


Mesurer, tarifer, vendre l’électricité. La place du client particulier dans les processus de conception et de gestion du compteur d’électricité communicant.

Aude DANIELI doctorante Cifre en sociologie (ENPC/LATTS/UPEM/CNRS ; GRETS, EDF R&D)

De fait de l’ouverture des marchés à la concurrence, la figure du client occupe une place centrale dans le mode d’organisation des réseaux électriques. En prenant l’exemple de la modernisation récente des compteurs d’électricité, cette contribution interroge la portée des transformations techniques de cet objet technique s’agissant d’un champ peu couvert par les chercheurs : la description des pratiques sociales des compteurs d’électricité. A première vue, cela peut surprendre à plus d’un titre. Objet pour le moins trivial et peu usuel, le compteur d’électricité apparaît comme une technologie totalement oubliée dans les pratiques sociales. Pourtant, un important travail des autorités publiques, des industriels, des fournisseurs d’énergie, ou d’associations de consommateurs vise au contraire, à encourager les clients, à se saisir des nouvelles potentialités techniques du compteur communicant (smart meter), souvent présenté comme un outil de rupture technologique, inséré dans un modèle d’action de transition énergétique. Dans le même temps, à l’occasion d’une phase expérimentale d’ampleur (2010-2011), il a suscité des critiques variées (ex. surfacturation, risques sanitaires, refus de la pose du compteur, etc.).
Il s’agit ici de démontrer que cet objet technique, du point de vue des activités de la distribution d’électricité, est ancré dans une problématique de conception et de gestion : il est ainsi le fruit d’une conciliation entre un impératif de la satisfaction de la clientèle et les nombreuses autres contraintes dans la gestion quotidienne de cet objet, par les collectifs de travail. Contrairement à la vente d’autres biens de consommation, celle de l’énergie est distribuée chez les 35 millions de « clients particuliers » (collectivités, artisans, clients domestiques, etc.) et le calcul de cette consommation de masse en passe par une médiation technique (le compteur installé chez le client, éloigné des organisations).
En retraçant les dernières évolutions techniques de cet objet oublié, et à travers quelques cadres d’usage ordinaires du compteur qui ont été observés à l’issue d’une vaste enquête menée en 2014 dans les «mondes sociaux du compteur d’électricité», l’analyse jette un regard inattendu sur la société de consommation et sur les chemins que doit parfois emprunter une innovation d’entreprise, « hors les murs », pour s’imposer et se pérenniser dans les espaces domestiques et les petites entreprises. Le compteur communicant apparaît finalement, du point de vue de l’entreprise, comme un outil de « satisfaction clientèle » qui vient pacifier des situations antérieures conflictuelles, qui peut s’observer parfois dans la relation de service entre les consommateurs et les acteurs d’interface (techniciens, releveurs, téléconseillers). Plutôt qu’un outil de transition énergétique, pour l’heure, il se présente comme un outil de « moralisation du marché » où la valeur même de l’électricité, que ce soit sous l’angle économique ou moral, est requestionnée, par de multiples acteurs sociaux, à travers les cadres d’usages du compteur d’électricité.

MOTS CLÉS : smart meters, conception, usages, tensions, satisfaction clientèle.


La technologie est la réponse. Mais quelle était la question ?

Marie-Haude CARAËS (École supérieure des beaux-arts de Tours)

Les réseaux électriques utilisent depuis longtemps, mais de manière dédiée et fermée, des systèmes de communication électronique et d’information pour assurer la transmission des données nécessaires à la gestion de la production, du transport et de la distribution d’énergie. L’enjeu consiste désormais à créer des réseaux de communication et d’échange fondés sur une approche décentralisée et ouverte afin de développer une gestion plus fine, plus agile en temps réel de l’énergie électrique de la production jusqu’au consommateur final – les smart grids. La communication doit être bidirectionnelle, les producteurs, les distributeurs doivent être informés de la demande en temps réel et le client final doit être informés de l’état du réseau afin de prendre certaines décisions : lancer sa machine à laver plus tard, éteindre les appareils en veille, etc. Cette approche repose sur le développement d’interfaces entre les systèmes de communications, d’information et de production côté offre et côté demande. « L’approche smart grids nécessite une couche de services et d’applications qui assurent, pour les utilisateurs des réseaux une accessibilité aux informations, des analyses pertinentes, une historisation et la possibilité de réagir en activant des fonctionnalités adaptées ou en ajustant le comportement de consommation électrique en temps réel.» (Tera Consultants pour CRE, 2012 )
Les interfaces énergétiques n’ont pas attendu les smart grids pour se développer. Si leur existence précède celle des réseaux électriques intelligents, elles sont néanmoins amenées à se développer et se complexifier dans l’infrastructure des smart grid. Quel est le rôle de ces différentes interfaces ? Où sont-elles installées ? Quelles formes prennent-elles ? Quelles données récoltent-elles ? Quelles informations transmettent-elles ? Comment l’usager fait-il usage de ces dispositifs ? Quelles actions de commande est-il en mesure d’engager ? Comment le développement actuel des interfaces (design d’information, gestuelle, etc.) influence-t-il la conception des interfaces énergétiques ? L’état de l’art des interfaces énergétiques, réalisé à partir des disciplines créatives, dont une synthèse sera présentée dans cette communication, s’attache à apporter des réponses à ces questionnements en recensant, décrivant, triant et classant les interfaces énergétiques les plus innovantes à l’échelle internationale – celles déjà effectives et celles en devenir dans le cadre du déploiement de la stratégie smart grid : les interfaces domestiques (partie 1), puis les interfaces collectives à l’échelle du bâtiment et de l’urbain (partie 2). Cet état de l’art documente au final l’enjeu technico-social des smart grids via la recensement de projets qui organisent le traitement des données récoltées et transmises (partie 3).

MOTS CLÉS : Interface énergétique, design d’information, smart grids, usager, données.


Eco-comportements et usages.

Farid ABACHI (Union Sociale de l’Habitat)

Dans le cadre de la réalisation de ses engagements en faveur d’une construction neuve et d’une rénovation du parc existant en un patrimoine à hautes qualités environnementales et à hautes performances, et ce dans un contexte de forte crise économique et sociale touchant les ménages les plus modestes, le Mouvement Hlm s’est fortement mobilisé pour conduire des opérations intégrant une maîtrise des charges liées aux enjeux énergétiques, en particulier pour ses occupants les plus modestes.
Les éléments saillants d’études précédentes montrent que la réduction significative des consommations énergétiques passe par une conjugaison optimale de trois facteurs : des composantes techniques passives (qualité du bâti renforcée : isolation…), des composantes techniques actives (installation d’équipements performants pilotés avec efficacité) et un aspect comportemental, par la sensibilisation des habitants et des acteurs de proximité des organismes, dans leur capacité à maîtriser la demande en énergie.
Les conditions de réalisation des opérations ont montré les limites d’une course aux performances orientées vers les seules efficacités techniques intrinsèques, malgré les fortes innovations enregistrées ces dernières années. Par ailleurs, les premiers retours d’expériences ont montré l’impact de ces solutions actives et passives innovantes sur les comportements pour un « bon » usage de ces nouveaux équipements installés : elles perturbent les usages, les modes de vie comme les habitudes acquises et nécessitent une réelle appropriation des dispositifs par les populations résidentes dans ces logements très performants, au risque d’une annulation des gains espérés (« effet rebond » ou expression de nouvelles aspirations de confort, dysfonctionnements, risques sanitaires et techniques…).
Dès lors, il apparaît nécessaire de mieux prendre en compte les composantes comportementales.
De nombreux organismes Hlm ont initié des dispositifs de sensibilisation et d’accompagnement de leurs locataires, pour une maîtrise des consommations énergétiques. Un premier panorama a montré l’éventail de ces actions, entre celles qui visent à « conscientiser » les performances accrues d’un bâtiment par ses usagers, celles qui permettent de former les occupants au bon fonctionnement des équipements installer et celles qui indiquent les « bons » gestes et comportements à suivre – au risque de résistance dans les comportements et de déviance dans les usages.
L’USH et la CDC ont lancé une étude visant à compléter un panorama et évaluer ces différentes actions, menées par les organismes Hlm à destination de leurs locataires. Quelles en sont les attendus, leurs portées, les indicateurs pertinents, les risques et limites… ?
Notre contribution présentera les conclusions de cette étude, qui a vocation à accompagner les bailleurs sociaux dans la mise en place de tels dispositifs à destination de leurs collaborateurs et locataires.

MOTS CLÉS : Accompagnements, organismes Hlm, locataires, maitrise des consommations énergétiques, Lutte contre l’effet rebond.


Affichage des consommations et réflexivité des ménages: construire une Culture domestique de l’Energie par l’information.

Christèle ASSEGOND (Université François Rabelais-TOURS/CETU ETIcS ; Laboratoire CITERES)

Longtemps maintenu dans une posture de passivité voire d’ignorance, le consommateur citoyen est aujourd’hui mis en demeure de prendre une part active dans la transition énergétique. Mais comment l’impliquer dans un processus qui le concerne, mais dont les enjeux collectifs lui échappent ? Une des voies activement explorée repose sur l’hypothèse qu’une mise à disposition d’informations sur les consommations d’énergie permettrait de faire évoluer favorablement les pratiques des ménages vers plus de sobriété. D’un point de vue institutionnel, la performance des dispositifs d’information est généralement analysée à partir de sa capacité à induire des économies d’énergie immédiates. La pertinence d’une évaluation basée sur cet unique critère technico-économique est aujourd’hui largement discutée et les recherches, en particulier sur les terrains européens, tentent de qualifier plus finement les liens entre informations et prise de conscience des enjeux énergétiques.
Les résultats de la recherche collaborative AffichEco menée de 2010 à 2013 en région Centre (France) montrent, à partir de l’observation sociologique de la réception d’un dispositif technique d’affichage permanent des consommations électriques par postes, que l’information n’agit pas comme un stimulus appelant une action simple en retour mais qu’elle engage des processus de nature complexe. Ainsi, les entretiens approfondis menés auprès d’une trentaine de ménages mettent en évidence la manière dont les informations délivrées participent largement d’une culture de l’Energie. Si elle ne conduit pas à des économies d’énergie immédiatement perceptibles, cette culture constitue un préalable indispensable à la compréhension des enjeux énergétiques par les ménages et de fait à leur engagement actif dans une démarche de maîtrise de l’énergie. Ces résultats invitent donc à considérer l’évaluation de l’efficacité des dispositifs d’affichage des consommations non plus sous l’angle unique des économies d’énergie à court terme mais également sous celui, beaucoup plus stratégique à long terme, de l’accompagnement au changement.

MOTS CLÉS : information, consommation d’énergie, culture de l’énergie.