ENGAGEMENT, MOBILISATION, CONCERTATION

MOBILISATION COLLECTIVE ET CONFRONTATIONS

Procédures d’implication, systèmes de croyances et dynamiques d’engagement dans une controverse éolienne en Suisse Occidentale.

Pierre-Henri BOMBENGER (Haute école spécialisée de Suisse Occidentale/HES-SO ; Haute école d’ingénierie et de gestion du Canton de Vaud /HEIG-VD ;Institut G2C/Équipe PlanI-D)
Adeline CHERQUI (Université de Lausanne/Institut de hautes études en administration publique – IDHEAP)
Kevin BLAKE (Université de Lausanne/Institut de hautes études en administration publique – IDHEAP)
Marie-Joëlle KODJOVI (Haute école spécialisée de Suisse Occidentale/HES-SO ; Haute école d’ingénierie et de gestion du Canton de Vaud /HEIG-VD ;Institut G2C/Équipe PlanI-D)

En 2011, les autorités fédérales suisses décident de l’abandon progressif de la production électrique nucléaire et engagent le pays dans une stratégie de transition énergétique s’appuyant notamment sur le développement de la filière éolienne. Cette communication traite plus particulièrement d’un projet de parc éolien pilote débuté il y a près de 17 ans dans les montagnes jurassiennes de Suisse occidentale. Sur la base de cette étude de cas réalisée dans le cadre du projet FNS Gouvéole notre analyse questionne sur une période étendue les évolutions des dynamiques de mobilisation et d’engagement des acteurs autour d’un projet énergétique en suivant deux entrées complémentaires.
D’une part, notre travail met en évidence sur près de deux décennies les évolutions des procédures et processus institutionnels d’implication des acteurs dans les projets éoliens. Loin d’être constant, le cadre institutionnel d’autorisation des projets s’est particulièrement complexifié en raison de la multiplication des activités régulées par les politiques publiques d’aménagement. L’enjeu de coordination qui en résulte entre les multiples dispositifs réglementaires municipaux, cantonaux et fédéraux, se double d’une ouverture accrue de ces dispositifs aux usagers des territoires. Ces derniers parviennent de manière croissante à jouer avec, voire à générer, de nouvelles règles procédurales afin d’orienter le processus d’autorisation des parcs éoliens. Ce cas d’étude met en évidence le rôle particulier des articulations entre les démarches de concertation et le pouvoir référendaire dont disposent les citoyens dans le contexte de démocratie directe suisse.
D’autre part, notre étude analyse sur le moyen terme les évolutions des coalitions d’acteurs impliquées autour de deux axes en particulier. Premièrement, dans une approche basée sur le cadre conceptuel des coalitions argumentatives, l’analyse porte sur les dynamiques de construction et de recomposition des groupes d’acteurs autour de croyances et représentations communes. Deuxièmement, à une échelle plus fine et dans une approche basée sur une sociologie des mouvements sociaux et du militantisme, elle étudie la recombinaison de ces collectifs en portant attention aux relations entre acteurs, aux échanges de ressources (notamment relationnelles, juridiques et organisationnelles) et aux trajectoires sociales qui les conduisent à se positionner de manière stratégique dans l’une ou l’autre des coalitions de valeurs.
Au final, cette communication propose un éclairage original sur la question des controverses environnementales générées par la question énergétique en replaçant l’analyse dans le temps long des transformations des différentes échelles de territoire dans lequel elle s’exprime.

MOTS CLÉS : Éolien, Suisse, procédure, engagement, systèmes de croyances.


Le miroir de la « démocratie technique ». Étude du conflit autour de la ligne Très Haute Tension France-Espagne.

Laurence Raineau (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne/Centre d’Étude des Techniques, des Connaissances et des Pratiques – Cetcopra)
Aurélien Cohen (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne/Centre d’Étude des Techniques, des Connaissances et des Pratiques – Cetcopra)

Notre communication se propose de réfléchir à la place du citoyen et de l’usager dans la transition énergétique, et sur le sens que peut avoir la séparation de ces deux « acteurs ».
C’est à partir d’un travail de terrain sur un projet de ligne à très haute tension dans les Pyrénées Orientales, que nous engagerons cette réflexion. Le moment où les grandes infrastructures s’implantent sur le territoire fait apparaître le macro-système électricité à l’échelle locale, et donne, en quelque sorte, une présence matérielle à l’énergie. Les acteurs locaux se trouvent ainsi souvent impliqués dans des problématiques sur lesquelles ils n’avaient jusqu’alors pas prise. Le projet de ligne THT a, de cette façon, amenée la constitution d’un collectif et d’une réflexion des acteurs locaux sur les possibles transitions énergétiques. La consultation autour de ce projet de ligne THT, qui s’est rapidement transformée en conflit, a vu s’opposer aussi bien les militants aux experts que les experts entre eux. De conflit en controverse, le discours des militants s’est vu canalisé dans une problématique scientifique, circonscrite aux contre-expertises sur les évaluations économiques et sanitaires. Dans le but de maintenir la mobilisation et de rester des acteurs de poids, les militants ont été obligés de renoncer aux débats plus ouverts sur les transitions énergétiques et les choix de société qui leur sont attachés. Cette controverse a malgré cela bien abouti au compromis entre pouvoir politique, scientifique et pouvoir local qui caractériserait les « forums hybrides » (Michel Callon, Arie Rip, 1092 ; Michel Callon, Pierre Lascoumes, Yannick Barthe, 2001) : la ligne THT sera bien construite mais elle sera enterrée (ce qui multipliera son coût par 4). Ce conflit est en cela un exemple parfait d’une participation du profane (qui s’est toutefois fait spécialiste) dans l’élaboration de la décision finale, une décision finale collectivement élaborées et qui a su réintroduire les réalités locales.
Mais on peut aussi voir ici, dans cette nouvelle façon d’impliquer les acteurs dans le devenir du système énergétique, une forme de domestication des mobilisations, qui serait donc peut être la condition (et la limite) de la « démocratie technique » (Callon). La parole du citoyen est prise en compte dans les limites d’un débat dont les bornes sont fixées d’avance. Et le citoyen de la « démocratie technique » se fait peut être acteur de la transition énergétique, mais ne peut jamais devenir acteur du système énergétique. La fracture entre l’usager et l’énergie, entre les choix techniques et l’évolution des pratiques, entre la science et le sens commun, entre « l’Environnement » et les environnements est donc toujours vivante (malgré les tentatives pour la combler) et n’est pas mise en cause par les controverses. Elle nous apparaît pourtant être au cœur des problèmes auxquels devra répondre la transition énergétique.

MOTS CLÉS : Conflit socio-environnemental; usager; démocratie technique; transition énergétique; ligne THT.


Au-delà du Nimby : registres de justification et économie des mobilisations contre des projets de parcs éoliens. Études de cas audois et ariégeois

Stéphanie DECHEZELLES (Institut d’Études Politiques d’Aix-en-Provence/CHERPA)

La France s’est lancée depuis les années 2000 dans la promotion des énergies renouvelables dans la part globale de l’électricité produite et consommée nationalement. Localement, cette politique se décline en de multiples projets de parcs. Concernant la source éolienne, deux départements limitrophes mais contrastés offrent la possibilité d’investigations comparées stimulantes. D’un côté, l’Aude fait figure de territoire pionnier compte-tenu notamment des caractéristiques de son régime des vents et l’importance numérique des installations sur son territoire. De l’autre, l’Ariège ne compte pour l’heure aucun parc en dépit de nombreux démarchages de la part de promoteurs. Dans ces deux départements, de nombreux collectifs se sont constitués pour s’opposer à de nouveaux projets. Les procédures mettant en œuvre des dispositifs de participation du public (consultations et enquêtes publiques) constituent pour ces opposants des épreuves intenses et pour le chercheur des fenêtres particulièrement intéressantes en vue d’interroger et de comprendre les ressorts des mobilisations.
Fortement contraints par la très grande technicité des dossiers, les membres des collectifs en lutte tentent néanmoins de concurrencer les institutions publiques, les sociétés privées ou encore les bureaux d’études spécialisés, dans un maximum de domaines d’expertise. Fourbissant des arguments (contre)experts qu’ils tirent de leurs expériences biographiques, trajectoires professionnelles ou encore soutiens via leurs réseaux d’interconnaissance, les opposants aux projets éoliens étudiés ne se cantonnent toutefois pas au registre « froid » de l’expertise technique. Ils opèrent également, selon certaines conditions, des formes d’hybridation avec des registres sensibles (affection pour le territoire, évaluations esthétiques, patrimonialisation des expériences ordinaires…) qui peuvent parfois être entendus par les pouvoirs publics. En effet, pour ces derniers, ces registres affectifs ou ces appréciations « relatives » ne sont pas totalement étrangers aux nouvelles formes d’action publique territoriale (labellisations, classement, démocratie participative…).
Ainsi les diverses parties en présence se trouvent engagées dans une course à la production de critères d’évaluation et d’argumentation balançant entre plusieurs régimes de justification et différentes échelles de légitimité. On s’attachera notamment à montrer comment, loin de ne mobiliser que des arguments experts ou valables en toute généralité, les opposants cherchent à les articuler et les combiner à des modalités plus émotionnelles et localisées de la contestation.
On cherchera notamment à aller au-delà des qualifications de « NIMBY » opérées tant par certains acteurs du secteur que par certains chercheurs, qui occultent plus qu’elles n’analysent les raisons qui poussent certains, y compris parmi les plus soucieux de sobriété énergétique ou de protection de l’environnement, à s’opposer à ces projets.
La communication s’appuiera un corpus composé d’une trentaine d’entretiens semi-directifs, de documents d’orientation et rapports territoriaux, de nombreuses sessions d’observations directes et participantes, de supports d’expression associatifs, de dossiers de candidature de compagnies éoliennes, de bases de données naturalistes, de registres d’enquêtes publiques.

MOTS CLÉS  :Mobilisations, énergie éolienne, controverses, démocratie participative, expertise.


Défier la « révolution du gaz de schiste » : politiques néolibérales et mouvements anti-fracking.

Roberto CANTONI (École des Ponts Paris Tech/UMR CNRS 8134 LATTS)

Selon un rapport de 2011 par l’Agence internationale de l’énergie, le monde est entré dans un « âge d’or du gaz ». Indéniablement, cette affirmation a été motivée par les changements radicaux apportés par des sources non conventionnelles de gaz aux marchés de l’énergie : en particulier, cela est le cas pour le gaz de schiste. Les découvertes de gaz aux EE.UU. ont conduit à une transformation du marché américain, et l’Europe commence aussi à être touchée par ce phénomène : des campagnes de prospection de gaz de schiste ont déjà commencé dans un certain nombre de pays européens, notamment en Pologne et au Royaume Uni. Tout en incluant mon analyse dans le cadre géopolitique plus large du commerce du gaz naturel, je me propose d’abord de montrer comment les attitudes des gouvernements européens à l’égard de l’exploitation de cette ressource non conventionnelle sont caractérisées, en suivant des agendas politiques néolibérales, par des enjeux géostratégiques centrés sur l’autonomie énergétique et sur une logique d’ordre purement économique.
Deuxièmement, j’analyserai l’émergence de mouvements s’opposant à l’industrie de l’exploitation des gaz de schiste et à des pratiques matérielles perçues comme susceptibles de comporter des risques très concrets de pollution, causés par les activités de fracturation hydraulique (fracking) à la base de cette exploitation. Je montre comment l’industrie a sous-estimé la complexité, la portée et l’influence du mouvement anti-fracking, et a interprété les protestations comme s’il s’agissait de « syndromes NIMBY» se faisant passer pour de l’écologisme. Mon étude montre au contraire que les mobilisations sont fondées sur une coalition d’intérêts divers et idéologiques acquis, qui ont peu de chances de se laisser influencer par des études financées par l’industrie ou des campagnes de relations publiques dans les magazines.

MOTS CLÉS : Gaz de schiste, mobilisation, fracking.


Une transition énergétique citoyenne : un laboratoire d’expérimentation pour les politiques publiques locales ?

Frédéric BALLY (Université Pierre-Mendès-France Grenoble 2/(Laboratoire Lettres, Langages et Société – ED Science de l’Homme, du Politique et du Territoire)

L’énergie n’est plus infinie tel qu’on le croyait, mais elle reste l’enjeu d’innovation et de création d’une nouvelle perspective sociale (Raymond, 2013). Si de nombreuses injonctions à se comporter en éco-citoyen (Chavanon, Joly, Laforgue, Raymond, & Tabois, 2011) voient le jour sous l’aune de politiques publiques et des engagements internationaux, la société mise également sur une évolution technologique pour faciliter des comportements vertueux.
En parallèle se développent, s’organisent localement, via les citoyens ordinaires, des révolutions tranquilles (Manier, 2013). Le territoire de Lyon est par exemple le vivier d’un certain nombre d’initiatives citoyennes diverses en termes de valorisation des ressources naturelles et d’économie d’énergie : citons ici les jardins partagés, les habitats collectifs ou des mouvements citoyens comme Graines Rhône-Alpes ou Anciela qui mettent en avant un territoire durable. Cette liste non-exhaustive montre autant de terrains potentiels où les initiatives citoyennes prennent part à une autre définition de la notion de durabilité, d’économie (Lagane, 2011) et de sociabilité (Ripoll, 2010), en décalage, parfois en prolongement d’une vision institutionnelle.
Notre communication s’attachera à interroger les logiques et les potentialités de ces initiatives citoyennes au niveau local. Nous étudierons dans un premier temps la diversité de formes que prennent ces initiatives sur le territoire lyonnais, ainsi que leurs valeurs fondatrices, au travers de la manière dont ces acteurs citoyens s’associent.
Ensuite, il s’agira de montrer le rapport que peuvent entretenir ces initiatives citoyennes avec les institutions pour légitimer/ faire évoluer les politiques locales liées à l’énergie, pour in fine renouveler une logique bottom-up un peu oubliée.

MOTS CLÉS : Eco-citoyens, développement durable, transition énergétique, acteurs ordinaires, sociologie des initiatives citoyennes.


Une centrale thermique en ébullition.

Ghislaine GALLENGA (Université d’Aix-Marseille–AMU/ Institut D’Ethnologie Méditerranéenne Européenne et Comparative – IDEMEC CNRS UMR 7307)

Si les thèmes de la transition énergétique – entendue ici comme un processus entre deux énergies : du carboné au non carboné – sont en France relativement récents dans le débat public, les thématiques liées à l’énergie sont beaucoup plus anciennes, en particulier dans les villes minières dans lesquelles le tissu social et économique comme la communication municipale reposent sur l’exploitation de la mine. Le slogan de la ville de Gardanne, petite ville ouvrière du Sud de la France, est justement « Gardanne, terre d’énergie », et la municipalité communiste désire que la ville soit la première à être autosuffisante en terme d’énergie.
Or, la ville est confrontée depuis 2003 à l’arrêt de l’exploitation minière alors que depuis plus d’un siècle l’unité de cet espace s’est forgée autour de l’exploitation du charbon et de l’industrialisation induite par la mine. La fermeture de la mine a été longuement préparée et a fait l’objet d’une stratégie de reconversion inscrite dans l’agenda gouvernemental de la transition énergétique. Pour autant l’arrêt de l’exploitation minière continue à exercer une influence dans les mémoires et le passé de la mine demeure prégnant à travers l’histoire sociale locale.
La centrale thermique – privatisée dès l’ouverture à la concurrence du secteur de l’énergie en 1995, et propriété d’un groupe allemand (au temps de l’enquête) – a entamé, depuis la cessation d’activité de la mine, une reconversion vers les énergies nouvelles renouvelables et une transition vers le mix-énergétique. Elle déploie ainsi des stratégies productives et économiques qui intègrent de nouvelles sources d’énergie non carbonées comme un parc photovoltaïque ou la biomasse. Elle prépare notamment sa transition du charbon importé – donc trop onéreux financièrement et écologiquement – aux granules de bois. Ce changement, en réponse à un appel d’offres européen, suscite l’inquiétude des salariés. Ces derniers ne voient dans le bois qu’une étape supplémentaire dans la fermeture inéluctable, selon eux, de la centrale, alors que la plupart d’entre eux a déjà vécu une première restructuration avec l’arrêt de la mine.
Comment toutes ces évolutions de l’arrêt de la mine au passage au bois sont vécues par le personnel de la centrale ? Que veut dire la transition énergétique pour les ouvriers qui la mettent en œuvre au quotidien ? Dans une centrale où les employés sont presque tous affiliés au syndicat de gauche la CGT (Confédération générale des travailleurs), quels sont les ressorts de la contestation ? Comment et sur quels arguments se cristallisent les peurs des salariés ? La transition énergétique n’apparaît-elle pas plutôt comme une menace, un facteur d’inquiétude qui s’ajouterait aux diverses incertitudes sur l’avenir depuis la crise charbonnière ? Ne serait-elle pas synonyme de dissolution d’une identité territoriale, d’une culture ouvrière ? Finalement, ne serait-elle pas qu’un leurre rhétorique destiné à accompagner des mesures économiques ?
Ce papier décrit ainsi la réception par les employés de la centrale thermique de la politique menée en faveur de la transition énergétique. Il se base sur une enquête ethnologique menée dans une équipe pluridisciplinaire. La méthodologie a été l’observation participante ainsi que des entretiens ouverts auprès des salariés de la centrale, des responsables du syndicat majoritaire, et de la municipalité. La direction de l’entreprise n’a pas, quant à elle, voulu nous recevoir. La recherche a été financée par l’Observatoire Hommes Milieu (OHM) du bassin minier de Provence.

MOTS CLÉS : Ethnologie, centrale thermique, culture ouvrière, mémoire, mine.


La répression étatique des mouvements écologiques après le onze septembre 2001 et le pic pétrolier: le cas canadien.

S. Harris ALI (York University, Toronto, Canada)

Pour devenir une « superpuissance pétrolière », l’Etat canadien poursuit des stratégies intentionnelles pour déstabiliser et désarmer ses adversaires principaux : les groupes écologistes. L’Etat essaie ainsi d’affaiblir et même d’éliminer l’influence de ceux qui proposent la décarbonisation et la recherche des sources d’énergie renouvelables. Dans la perspective de la construction sociale, j’effectue une analyse du discours pour examiner la façon dont l’Etat canadien essaie de limiter la capacité du mouvement écologiste à contrer les projets d’extraire « le pétrole sale » des sables bitumineux de l’Alberta. Avec le soutien de l’industrie pétrolière, les stratégies étatiques pour contrer les groupes écologistes comprennent: l’inspection financière ciblant les groupes écologiques ayant un statut d’association caritative, les services de renseignement et la surveillance des militants écologistes, les moyens de museler les scientifiques au sein du service public, et un type d’action juridique, la Poursuite stratégique contre la mobilisation publique (poursuite-bâillon).

MOTS CLÉS : répression, écologisme, sables bitumineux, changement climatique, néolibéralisme, sécurisation.


Articulation entre la notion de “biens communs” ou “communs” et les coopératives d’énergie renouvelable.

Léa EYNAUD (Doctorante ADEME/ EHESS – Institut Marcel Mauss/ Centre d’Etude des Mouvements Sociaux)

La communication portera sur l’articulation entre la notion de “biens communs” ou “communs” et les coopératives d’énergie renouvelable. Si ce lien est souvent tracé dans les écrits des activistes – notamment les défenseurs de la notion de communs – et dans quelques ouvrages théoriques, on ne peut que déplorer le manque d’enquête scientifique portant sur les modalités empiriques de cette articulation. Notre contribution s’inscrit en réaction à ce constat. Dans une perspective pragmatiste notamment inspirée des travaux J. Dewey, elle proposera de s’interroger sur la manière dont les acteurs des coopératives d’énergie font expérience des communs, les définissent et les revendiquent dans le cadre de leurs actions concrètes sur le terrain – avec une attention particulière portée à la dimension exploratoire que ces processus recouvrent.
Dans quelle mesure et sous quelle(s) forme(s) la notion de « communs » trouve-t-elle sa place dans le cadre des activités pratiques et discursives auxquelles prennent part les acteurs des coopératives d’énergie (gouvernance en interne, choix éthiques au sujet des activités de fourniture et de rachat, communication auprès de consommateurs, lobbying et négociation politique, mobilisation au sein de mouvements sociaux, partenariats divers etc.)? Quelles sont les dimensions démocratique et environnementale d’une réappropriation de l’énergie sous le prisme des communs ? Inversement, la spécificité de l’objet énergie conduit-elle à une re-définition de l’acte de « faire commun » – par rapport à ce qui prévaut dans les autres domaines auxquels les communs sont plus souvent associés, tels que la connaissance ? Enfin, quelles sont les difficultés (voire les obstacles) politiques, institutionnels et juridiques auxquels se heurtent, sur le terrain, les activités de « mise en commun » de l’énergie ? Et comment les acteurs s’organisent-ils collectivement pour les lever?
La communication offrira un éclairage sur ces questions à partir des données collectées au cours des premiers mois d’enquête de la doctorante (soit depuis Septembre 2014). Elle s’appuiera sur un corpus d’entretiens réalisés au sein de la coopérative française de fourniture d’énergie renouvelable Enercoop ainsi qu’auprès de divers autres acteurs (élus politiques, activistes, concurrents, producteurs, consommateurs, fonds d’investissement citoyen etc.). L’analyse se fondera également sur un premier travail ethnographique réalisé au sein de la coopérative. Outre la réponse aux questions de recherche précédemment évoquées, notre contribution insistera sur l’intérêt heuristique et empirique d’un rapprochement entre communs et énergie pour penser la transition écologique. Elle apportera enfin un éclairage sur la méthodologie employée, notamment l’attention portée aux points de vue des acteurs et à l’enquête de terrain.

MOTS CLÉS :Coopératives d’énergie, Énergie renouvelable, (Biens) communs, Transition écologique, Initiative citoyenne.


FÉDÉRATION D’ACTEURS/EMPOWERMENT

La transition énergétique est-elle émancipatrice ?

Rémi ZANNI (Université Paris Diderot – Paris 7/LCSP)

Cette communication a pour but de questionner le caractère émancipateur de la transition énergétique ou, pour être plus précis, de savoir si le projet qui entend la mettre en place peut nous rendre plus libres ou plus autonomes.
La question peut tout d’abord paraitre absurde. En effet, l’émancipation n’est en rien le but de la transition énergétique pensée sous l’auspice de l’écologie dominante, du développement soutenable. L’enjeu est autre : il s’agit de la sauvegarde de nos ressources naturelles, il s’agit de pouvoir continuer à évoluer dans un environnement où la survie est possible. L’énergie n’intervient ici qu’en tant que sa production tend à rendre la terre inhabitable ; il nous la faut rendre renouvelable et plus efficace. Le problème est technique et il faut, pour le penser d’un point de vue social, questionner l’acceptation et la mise en œuvre de sa solution par les populations.
C’est cette conception unifiée, technique, de l’énergie qui s’avère remise en cause par la pensée d’Ivan Illich. Ne la penser que de manière quantitative, calorifique, empêche de distinguer celle qui provient des corps – l’énergie métabolique – et celle, issue des forces naturelles, que nous détournons à notre profit – l’énergie exogène. Or, selon Illich, quand la seconde – qu’elle soit propre ou polluante, rare ou abondante – parvient en position dominante, instaurant ainsi un « monopole radical », elle nous empêcher d’user de la première et nous oblige alors à intégrer la « mégamachine », à nous soumettre à un système technicien dominé par l’expertise et seul pourvoyeur d’énergie. Dès lors, une transition énergétique selon l’écologie politique radicale consisterait à inverser ce rapport de soumission et à politiquement nous réapproprier notre pouvoir de décider quelles énergies nous acceptons d’utiliser, quel degré d’aliénation nos sociétés veulent-elles tolérer. La transition énergétique illichienne apparait ici vectrice d’autonomie et, subséquemment, émancipatrice.
Ainsi, il n’existerait pas une mais deux transitions énergétiques. S’avèrent-elles compatibles ? Du point de vue de leurs buts, aucune antinomie n’affleure : la première poursuit la possibilité de survivre, la seconde celle de vivre une vie authentiquement humaine. Elles pourraient même s’avérer complémentaires, voire dialectiquement s’embrasser. Cependant, comme nous le rappelle Arendt, la question politique se niche bien davantage dans les moyens que dans les buts. Cette communication se terminerait ainsi par une confrontation des moyens employés par ces deux transitions énergétiques, c’est-à-dire par l’étude de leur compatibilité dans une perspective émancipatrice.

MOTS CLÉS : Ivan Illich, transition énergétique, émancipation, autonomie, écologie politique.


Participation citoyenne et gouvernance énergétique locale: une analyse sociologique des collectifs énergétiques citoyens dans les villes allemandes.

Thomas BLANCHET (École des Ponts Paris Tech/ LATTS)
Conrad KUNZE (Universität Halle-Wittenberg /Helmholtz-Zentrum für Umweltforschung)
Becker SÖREN (Leibniz-Institut für Regionalentwicklung und Strukturplanung)

Cette étude a pour but d’explorer l’influence croissante de collectifs citoyens dans la gouvernance énergétique urbaine en Allemagne. Dans le contexte de la mise en place d’une politique nationale sur la transition énergétique (Energiewende), l’Allemagne connait une montée en puissance des acteurs locaux dans la gouvernance énergétique (gouvernements locaux, entreprises municipales). Parmi ces acteurs, les collectifs citoyens cherchent de plus en plus à prendre part de manière active à la conception du futur système énergétique. Jusqu’à présent, la question de l’émergence et de l’influence de ces collectifs citoyens dans la gouvernance énergétique urbaine n’a cependant été que très peu traitée. Quelles raisons expliquent l’émergence d’initiatives citoyennes et comment réussissent-elles réussir à influencer les politiques énergétiques locales ? Sous le terme « communauté énergétique », la littérature existante se concentre en général sur le caractère collaboratif de tels projets négligeant les conflits potentiels que peuvent susciter l’arrivée d’un nouvel acteur dans un champ déjà contrôlé par des acteurs établis (autorités municipales, opérateurs locaux).
A l’aide d’une série d’entretiens semi-directifs et d’une analyse de documents et adoptant une perspective de sociologie stratégique (Crozier and Friedberg, 1977; Fligstein and McAdam, 2012), cette étude se concentre sur l’émergence et le développement de ces collectifs citoyens et de leurs interactions avec les différents acteurs en place au sein de cinq municipalités allemandes (Berlin, Hambourg, Jena, Aix-la-Chapelle, Leipzig). Les résultats de cette étude révèlent que bien que les débats nationaux sur la transition énergétique ont été un facteur important pour le développement de ces collectifs, leur émergence est plus le produit d’une insatisfaction concernant la politique énergétique locale, les menant ainsi à vouloir imposer un programme alternatif de production et/ou de distribution de l’énergie à l’échelle locale. Pour cela, les citoyens peuvent s’appuyer sur une diversité d’instruments organisationnels (coopératives, referendums locaux, obligations d’épargnes). Pour finir, cette étude montre que le succès de telles initiatives citoyennes varie largement en fonction de la régulation locale, de la stratégie qu’ils adoptent et des relations de coopérations et/ou conflits établies avec les acteurs en place.

MOTS CLÉS : initiatives citoyennes, gouvernance locale, empowerment, transition énergétique, privatisation.


Opinion publique ou opinion des publics : qui s’engage et comment s’engage-t-on dans les questions d’énergie ?

Jérémy BOUILLET (Université de Grenoble/UMR PACTE ; EDF R&D)

En matière d’énergie, les injonctions normatives à faire des économies sont nombreuses et souvent articulées autour de la diffusion de « bonnes pratiques ». Un présupposé instrumental commun -assez développé au sein de politiques publiques- estime qu’il suffit que le citoyen soit doté de la « bonne » connaissance pour agir « correctement ». Or, les citoyens ordinaires ne sont ni incompétents, ni surcompétents ; ils adhèrent plus ou moins à des ordres normatifs concurrentiels et bricolent ces injonctions de manière à les rendre compatibles avec leurs valeurs et intérêts, leurs modes de vie et les dispositifs sociotechniques auxquels ces modes de vie sont adossés.
Face au constat de la complexification des enjeux de la « Grande Société » (selon les mots de Graham Wallas) qui coupe les citoyens ordinaires d’une compréhension immédiate et intuitive de la vie publique, John Dewey proposait une lecture du monde social moins « donné » que « in the making ». Ainsi, alors que certains citoyens déploient des efforts considérables pour éviter leur confrontation à certains problèmes publics –en partie, mais pas uniquement, du fait de leur complexité–, d’autres font le constat de ce qui les affectent et des conséquences aussi inattendues qu’involontaires de phénomènes qui dépassent leur seule action. Ils se constituent alors en publics, faisant le constat de l’importance de l’enjeu et du dérèglement que le problème représente, et sont poussés à lui trouver des solutions.
Ces publics s’engagent alors dans un certain nombre d’activités discursives qu’il s’agit de prendre au sérieux comme des activités sociales comme les autres. Reprenant certaines intuitions du pragmatisme, la communication propose alors de regarder comment les citoyens discutent la légitimité du problème public de l’énergie à travers ses mises en forme narratives et le degré d’adhésion qu’elles suscitent ; comment la mise en scène, en récits et en arguments des questions d’énergie est diversement appropriée par un « citoyen ordinaire » dont les pratiques répondent également à d’autres contraintes, notamment d’utilisateur et de consommateur.
Cette communication a également une dimension méthodologique : alors que l’approche par les « bonnes pratiques » se contente d’observer la progression ou la régression du thème de l’énergie dans l’opinion, et d’apprécier ou de déplorer l’évolution des grands indicateurs des sondages, une approche par les publics redonne sa place à la typicité et à l’importance pour les individus des enjeux énergétiques. Il ne s’agit plus de débusquer l’opinion latente sur les enjeux énergétiques mais bien de comprendre les mécanismes de son élaboration.
Ce travail s’appuie sur l’analyse de questions ouvertes menées sur deux sondages en région PACA en 2009 et 2013.

MOTS CLÉS : public, Dewey, problème public, opinion publique, compétence politique.


L’empowerment dans le domaine de l’énergie ou l’implication active des usagers aux mutations énergétiques.
Jean DANIÉLOU (CRIGEN/GDF SUEZ)
Nadjma AHAMADA (CRIGEN/GDF SUEZ)
Simon BOREL (CRIGEN/GDF SUEZ)

La question de l’empowerment, ou du rôle et du poids accordés à l’implication et à la participation des citoyens-usagers dans les projets énergétiques est une question majeure qui intéresse et mobilise l’attention d’un grand groupe comme GDF SUEZ. Pleinement investis dans les enjeux et objectifs de la transition énergétique (rénovation thermique des bâtiments, bâtiments à énergie positive, nouveaux matériaux éco-efficaces, résorption de la précarité énergétique, gestion technique des bâtiments, etc.) du Big Data et du Smart (metering/grids/city/building), les énergéticiens sont confrontés à deux questions majeures à la fois complémentaires et parfois contradictoires. D’une part, comment responsabiliser les usagers-consommateurs du point de vue des dépenses et consommations énergétiques et comment les faire gagner en maîtrise de l’énergie ? D’autre part, comment faire face à la montée en puissance des revendications et des préférences individuelles émanant des citoyens-consomacteurs (et/ou pro-amateurs) et de la société civile ? On est ainsi face à une double figure : celle d’un usager consumériste et individualiste à responsabiliser, et celle d’un consommateur citoyen impliqué et déterminé à faire entendre son point de vue et à devenir coproducteur/codécideur des projets qui le concernent. Dès lors, cette contribution entend explorer les raisons et motifs pour lesquels les énergéticiens prennent en compte ces exigences et dynamiques nouvelles et les façons dont ils les intègrent à leurs projets et objectifs énergétiques. Deux champs seront ainsi explorés en appui sur des exemples empiriques concrets :
- le champs de l’innovation technique : la question de la co-construction des services et projets d’innovations technologiques dans la conception, la mise en œuvre et le déploiement des Smart Grids (cf. le projet Greenlys) ; et, de manière prospective, l’émergence d’un modèle dans lequel chaque usager/logement/bâtiment/ville/territoire deviendrait potentiellement une unité autonome et intelligente de production et de consommation en matière énergétique ;
- le champs organisationnel : Le dépassement de la culture organisationnelle verticale / centralisée / planifiée au profit de logiques collaboratives / distributives / horizontales / décentralisées notamment au travers des politiques d’entreprises visant à reconnaître les capacités, les aptitudes, les compétences des pro-amateurs (appels à participation/propositions/retours d’expérience/besoins en ligne des usagers-acteurs de l’énergie).

MOTS CLÉS :empowerment, smart grids, économie distributive, intelligence collective, consom’acteurs.


L’investissement des associations environnementales dans le pilotage des coopératives énergétiques : vers une professionnalisation des modalités participatives?

Guillaume CHRISTEN (Université de Strasbourg/SAGE – UMR 7363 CNRS)

Cette contribution propose d’éclairer la mise en œuvre d’un dispositif participatif dans le domaine de la transition énergétique. En effet, l’enjeu ne consiste plus à réaffirmer la primauté du social sur la technique, mais d’interroger désormais les possibilités d’une réappropriation sociale des enjeux énergétiques par un nombre important d’acteurs. Notre communication revient sur la mise en œuvre d’un projet d’éolien citoyen, dont la dimension participative est d’associer les usagers à la transition énergétique via un dispositif d’actionnariat populaire. L’organisation de cet instrument est alors déléguée à des acteurs associatifs et militants experts, en matière de projets coopératifs. Plus précisément, notre attention se focalise sur cette délégation, qui est alors révélatrice du statut des associations environnementales, qui jouent un rôle croissant d’expert auprès des pouvoirs locaux, voire se substituent aux autorités locales dans la mise en œuvre de projets (Lascoumes, 1994 ; Hamman et Blanc, 2009). Ces acteurs associatifs qui pilotent les projets coopératifs et en définissent les modalités participatives, s’organisent sous la forme d’une « communauté de spécialistes » et prennent la forme d’une « élite associative » (Hajek, 2009). Notre propos entend questionner ce processus de professionnalisation et ses conséquences quant aux possibilités de mettre la question de la transition énergétique à la portée des acteurs ordinaires. D’un point de vue méthodologique, nous avons conduit plusieurs séries d’entretiens auprès des habitants (soit trente entretiens) et des porteurs de projet (élus, techniciens, soit une dizaine d’entretiens). En termes de résultats, on remarque que la professionnalisation des référentiels donne un caractère relativement fermé aux modalités participatives. Le confinement de l’actionnariat populaire à une « expertise politico-administrative » (Claeys-Mekdade, 2006), qui concerne l’ensemble des ressources administratives et juridiques, essentielles au pilotage du projet éolien, est à l’origine de rapports inégaux à l’instrument. Ces appropriations différenciées, sont-elles révélatrices de formes émergentes d’inégalités ? Celles-ci se traduisent dans des capacités inégales de participation et de mobilisation autour de projets environnementaux (Chaumel et La Branche, 2008) ou à des inégalités de contribution (Gadrey, 2007) à s’engager dans la transition énergétique.

MOTS CLÉS :associations environnementales, coopérative énergétique, expertise, démocratie environnementale, inégalités écologiques.


Agréger et retrancher : l’art de faire croître sans faire périr des collectifs solaires coopératifs.

Antoine FONTAINE (Université de Grenoble/PACTE ; CIRED)
Olivier LABUSSIERE (Université de Grenoble/PACTE)

Cette communication propose d’exposer de premiers résultats de recherche produits dans le cadre d’une thèse consacrée à une expérience pilote, celle des Centrales Villageoises Photovoltaïques (Rhône-Alpes, France).
Cette expérience constitue un cas pionnier en France de portage coopératif de panneaux photovoltaïques intégrés au bâti. Elle se déroule sur huit territoires de cinq Parcs naturels régionaux de la Région Rhône Alpes. Financée par l’Europe et la Région Alpes, animée par l’association Rhône-Alpes Energie Environnement, elle vise à promouvoir un modèle de développement du photovoltaïque respectueux des territoires autant qu’un levier possible de leur développement. En cela, elle prend explicitement le contre-pied d’une politique solaire française rendue problématique par l’intéressement financier et spéculatif qu’elle a pu susciter.
Cette communication propose un angle précis, celui de comprendre comment à partir de configurations matérielles, sociales, juridiques qui confèrent à une toiture une existence souvent individuelle et exclusive (celle de la propriété), peut émerger une démarche collective, voire une constitution de la ressource solaire comme un « commun ». Comment poser un œil neuf sur la matérialité du bâti, comprise comme ressource clef pour développer des panneaux photovoltaïques en commun, et ouvrir un espace collectif de négociation des choix incluant de nouvelles dimensions (architecture, paysage) ?
L’analyse décrit les processus d’ « attachement » (au sens de la sociologie des sciences et techniques) des toitures au soleil, à l’architecture, au paysage, à la façon dont un groupe d’habitants conçoit « son » esprit coopératif. Elle suit la façon dont ces attachements, en ce qu’ils participent de la construction de ‘sites’ prometteurs, induisent des processus de différenciation spatiale, qui sont aussi des étapes de constitution du collectif. Ces expérimentations font face aux contraintes imposées par le dimensionnement du tarif d’achat (i.e. inégale rémunération des toits publics et privés) et celui du réseau de distribution électrique (i.e. coût du raccordement, incidence sur la rentabilité du projet). L’analyse suit les processus de réajustement de ces collectifs coopératifs en émergence : soit en modulant l’ambition quantitative de départ tout en préservant un potentiel solaire pluridimensionnel (architecture, paysage…) et solidaire, soit par un éclatement du collectif au bénéfice d’une réaffirmation de logiques individuelles (rentabilité).
Si les expériences de coopératives d’énergies renouvelables suivent souvent des trajectoires incertaines, cette communication contribue à leur analyse en mettant la focale sur le rôle des outils (méthode d’évaluation de gisement solaire, des enjeux paysagers…) élaborés chemin faisant et à leur portée souvent négligée quant à leur capacité à maintenir ou non un abord du soleil comme ressource « commune ».

MOTS CLÉS : Énergie solaire, Coopératif, Territoire, Attachements.


La participation du public au projet d’énergies renouvelables sur l’île de Samsoe: Une entreprise réussie? Une question de perspective.

Irina PAPAZU (Université de Copenhague/Département de Science Politique)

Jusqu’en 1997 l’île de Samsoe au Danemark n’attirait en rien l’attention. Avec ses 4 000 habitants, l’île n’était qu’un lieu vivant de l’agriculture et du tourisme. Ce qui l’a rendue mondialement célèbre, c’est le projet d’énergie renouvelable, sous forme de moulins à vent, panneaux solaires et chauffage urbain.
Le processus de dé-carbonisation de la plupart des aspects de la vie sur l’île a exigé un sentiment fort d’appartenance à la communauté, ainsi qu’un effort d’engagement dans des projets ayant trait à l’emploi de l’énergie renouvelable. L’île de Samsoe est aujourd’hui aussi célèbre pour son engagement communautaire que par ses centrales d’énergie renouvelable.
Cette communication présente une analyse des processus qui ont mené à un engagement communautaire dans les projets ayant pour but l’emploi de l’énergie renouvelable. Nous nous intéressons aux aspects pratiques et matériels qui ont joué un rôle dans la redynamisation graduelle de la collectivité locale.
Samsoe n’est pourtant pas unanimement considérée comme une communauté énergétique réussie. Les critiques affirment que les habitants de l’île n’ont pas suffisamment pris conscience de leur position en tant que consommateurs d’énergie, et ceci parce que le projet a mis l’accent sur le changement de source d’énergie et non pas sur la quantité d’énergie consommée. La présente communication s’interroge sur la pertinence de cette critique et discute les différents critères de succès (ou d’échec) quant à la participation communautaire, en vue d’une meilleure compréhension des projets énergétiques publics ou citoyens.
En ce qui concerne la théorie, la communication se fonde sur le concept et la théorie de « la participation matérielle », développée par, entre autres, Bruno Latour, Noortje Marres, Kristin Asdal, dans le domaine des études de “Science et Technologie”. Pour ce qui est de la méthodologie, nous nous basons sur les données qualitatives fournies par notre travail de terrain de cinq mois sur l’île de Samsoe.

MOTS CLÉS : transition énergétique, participation du public, politiques matérielles, communauté, énergies renouvelables.


La prospective citoyenne pour impulser une dynamique de transition énergétique et sociétale.

Mathieu LE DÛ (association Virage-énergie Nord-Pas de Calais)

L’association Virage-énergie Nord-Pas de Calais a engagé en 2012 un projet de recherche visant à élaborer des scénarios de prospective énergétique focalisés sur la maîtrise de l’énergie par la sobriété et l’efficacité énergétiques, et sur l’offre potentielle d’énergies renouvelables en région Nord-Pas de Calais. Ce projet est mené grâce au soutien financier du Conseil Régional Nord-Pas-de-Calais et de l’ADEME, en collaboration avec deux laboratoires de recherche universitaire : le laboratoire Territoires, Villes, Environnement et Société de l’université de Lille 1 et le laboratoire Ceraps de Science Po Lille. Pour élaborer ces scénarios, Virage-énergie Nord-Pas de Calais mobilise les citoyens dans le but de construire collectivement une vision fédératrice d’un futur possible et souhaitable. La sobriété, entendue comme une démarche volontaire et organisée de réduction des consommations d’énergie par des changements de modes de vie et des transformations sociétales, constitue le pilier de cette réflexion. En abordant les usages de l’énergie dans la vie quotidienne, mais aussi par le prisme des organisations économiques et sociales, des groupes de travail composés de chercheurs, de bénévoles et de salariés associatifs se concertent pour analyser les enjeux, proposer des alternatives ancrées régionalement et en évaluer les effets potentiels. La communication proposée exposera la méthodologie de prospective citoyenne employée pour élaborer ces scénarios et leurs principaux résultats. Elle présentera également la finalité de cette démarche associative : impulser une dynamique collective de réflexion et de changement en constituant des outils d’aide à la décision publique et des moyens de sensibiliser les citoyens aux enjeux énergétiques et aux bénéfices de la sobriété énergétique.

MOTS CLÉS : Prospective citoyenne, scénarios énergétiques, sobriété, transformations sociétales, politiques publiques.


Déployer la “smartness” dans les réseaux énergétiques à travers d’une approche de co-conception à l’échelle de quartier urbain.

Dario PADOVAN (Università di Torino)
Osman ARROBBIO (Università di Torino ; IRIS Interdisciplinary Research Institute on Sustainability)

Pour gérer la transition énergétique vers un système plus durable, un nouveau, très complexe et auto-équilibrant système énergétique appelé «Smart Grid» a été lancé. Le concept de « smart grid » identifie un processus de définition et de développement de technologies de contrôle intelligents pour contrôler et coordonner, dans une façon flexible, la consommation d’énergie afin de maintenir un équilibre entre la production et la consommation dans l’ensemble du système énergétique. La vision et le développement d’un réseau intelligent sont influencés par les irréconciliables intérêts et objectifs des acteurs impliqués dans le réseau même, ce qui rend les résultats des réseaux intelligents très faible jusqu’à ce moment et ne contribue pas à réaligner et rapprocher fournisseurs, distributeurs et utilisateurs. Ceci est une des raisons pour laquelle, malgré la pléthore de R&D et des projets de démonstration, très peu a été accompli en termes de réalisation des visions de réseau intelligent. Il existe encore un écart entre les idées du futur système de réseau intelligent et la mise en pratique de ces idées. Cette communication vise à contribuer à combler cette lacune en développant un système de gestion de réseau intelligent au niveau de quartier urbain. En outre, l’intégration des technologies de l’information et des capteurs de toutes sortes permet la collecte d’une quantité croissante de données. Trouver les lieux et les rôles appropriés pour les données et les capteurs est l’autre défi majeur à traiter si on veut que le déploiement de la « smartness » dans les systèmes énergétiques soit atteint.
Dans cette communication, les résultats d’une recherche qualitative centrée autour d’un système de chauffage urbain seront discutés. Cinquante entretiens et six groupes de discussion ont été menés à Turin (Italie), ville où près des deux tiers de la population est desservie par le chauffage urbain. Des experts de différents horizons, des citoyens, ainsi que les représentants du Conseil municipal ont été impliqués dans un projet visant à la création, a moyen d’un travail de co-conception, de outils pour la visualisation et la simulation de information et données liées aux questions énergétiques et thermiques au niveau du quartier. On a pour ça cartographié les caractéristiques des actants humains jouant actuellement un rôle dans le réseau de chauffage urbain, les dispositifs techniques actuels et imaginés, les relations qui les lient les uns aux autres, les problématisations dont ils sont porteurs.

MOTS CLÉS : smart grids, chauffage urbain, systèmes socio-techniques, energy feedbacks, co-conception.


La définition des usagers dans le développement des smart grids.

Georgia GAYE (Université Libre de Bruxelles /Centre d’Études du Développement Durable)
Grégoire WALLENBORN (Université Libre de Bruxelles /Centre d’Études du Développement Durable)

Dans le cadre de l’objectif 20-20-20 fixé par l’Union Européenne, la région Wallonne a décidé de financer le projet FLEXIPAC qui cherche à évaluer le potentiel de flexibilité des pompes à chaleurs (via la conversion d’électricité en chaleur). Comme le réseau électrique doit faire face à une part croissante de production d’énergies renouvelables intermittentes, il est nécessaire de trouver des processus d’équilibrages à la hausse et à la baisse sur le réseau basse et moyenne tension.
Nous avons installé des compteurs intelligents dans 70 ménages et 15 petites entreprises possédant tous une pompe à chaleur. Nous avons interviewé 29 participants à deux reprises, conduis 3 focus groups et réalisés plusieurs questionnaires en ligne. Nous avons confronté les déclarations des répondants à leurs actions afin de se focaliser sur leurs pratiques quotidiennes. Nous avons investigué plusieurs questions telles que : comment les usagers gèrent-ils leur confort thermique ? Comment utilisent-ils et s’approprient-ils leur système de chauffage ? Comment gèrent-ils leur consommation d’énergie ? Seraient-ils prêts à déléguer le fonctionnement de leur système à un opérateur extérieur ?
Sur base de ces observations, nous avons établi une segmentation de quatre principaux profils se référant à notre échantillon (bien que biaisé initialement) : l’économiste, le technicien, l’écologiste et le pondéré. Ces profils se réfèrent à plusieurs variables explicatives des pratiques observées permettant d’évaluer le potentiel de flexibilité en fonction des différentes logiques orientant leurs actions : pratiques écologiques, maitrise de la consommation d’énergie, flexibilité thermique, calcul économique, appropriation du dispositif technique, pratiques techniques, flexibilité et consommation d’énergie.
En analysant les différents profils, nous montrons notamment que le potentiel de flexibilité et de changement est plus grand chez les écologistes (attachés à des valeurs non monétaires), tandis que les économistes (qui correspondent au modèle de l’ « homo economicus ») sont peu intéressés par les économies d’énergie. Nous concluons que certains segments ne sont pas pris en compte dans le développement des politiques actuelles, qui reposent principalement sur des outils de prix, d’informations et de technologie. L’environnement, la participation ainsi que des aspects plus collectifs de la gestion de l’énergie ne sont pas pris en compte tandis qu’ils représentent le potentiel de flexibilité le plus important.

MOTS CLÉS : smart grid, théorie des pratiques, segmentation, usagers, flexibilité.


Les économies d’énergie saisies à l’aulne des pratiques discursives : une approche par la casuistique.

Mathieu BRUGIDOU (EDF R&D ; PACTE)
Michèle MOINE (Université de Grenoble/Laboratoire Jean Kuntzmann)

L’analyse de l’évolution des réponses à une question ouverte posée successivement en 2009 et 2013 à deux échantillons d’habitants de la région PACA (N=1866) sur les raisons de ne pas faire des économies d’énergie a mis en évidence ce que l’on peut qualifier de « desserrement normatif » : en 2013, les habitants de Paca sont sensiblement moins nombreux (moins dix points par rapport à 2009) dans leur discours à réprouver le fait de ne pas économiser d’énergie. Parallèlement, la proportion de répondants politisant dans leurs discours les questions d’économie d’énergie – en mettant en cause les solutions d’actions publiques (Zittoun, 2013) mises en œuvre – s’avère stable (autour de 6%). Dans une perspective pragmatiste, ce sont donc des énoncés neutralisant la charge normative (absence de stigmatisation) sans toutefois dénoncer explicitement le caractère injuste de ce type de solution qui progressent sensiblement (Brugidou et Moine 2010; Brugidou 2013). Le contexte politique et économique constitue une des clefs, lisible dans ces réponses, permettant d’expliquer ces évolutions, que l’on peut apparenter à des formes d’exit (Hirschman, 1970).
A partir de la présentation de ce dispositif d’enquête original et d’un premier état des lieux permettant d’identifier et de caractériser d’un point de vue sociolinguistique des pratiques discursives liées aux économies d’énergie, cette communication se propose d’explorer une autre hypothèse que la désaffection à l’égard de la norme. Celle-ci voit dans l’examen par les personnes interrogées des conditions de l’exercice concret de la norme des raisons légitimes de différer ou d’aménager son application. Deux types d’arguments peuvent venir soutenir cette assertion :
- un argument empirique mis en évidence par l’analyse des données textuelles. L’analyse montre une focalisation plus forte en 2009 qu’en 2013 des énoncés sur le thème des économies d’énergie. Les répondants évoquent moins le principe de la norme que ses conditions concrètes d’application et les difficultés éventuelles qu’elles entraînent. Bien que les répondants stigmatisent moins les déviances et politisent toujours marginalement les questions d’économies d’énergies, ils en parlent néanmoins davantage et plus précisément, leur compétence linguistique thématique progressant entre 2009 et 2013.
- un argument théorique issu de la « nouvelle casuistique » et relevant de la sociologie morale. Selon A. Jonsen et S. Toulmin (1988), « l’ambition [des casuistes] n’est pas d’élaborer ou d’appliquer des principes pour décider [de questions en rapport avec la justice sociale] : ils se proposent simplement de construire une solution acceptable à un problème ponctuel » (Goffi, 2001, p106). A rebours de l’argument Pascalien reprochant à la casuistique son approche intentionnelle et finalement son laxisme – l’intention pure exemptant des effets néfastes de l’action -, la nouvelle casuistique fait de l’examen des circonstances multiples de l’action – et non de la conscience – les conditions d’une actualisation de la norme, voire de son évolution.
Dans cette perspective, le « desserrement normatif » constaté serait à interpréter non comme un recul mais au contraire comme une forme d’approfondissement collectif, une « descente en généralité » (Rosanvallon, 2007-2008, p. 464) à travers l’exploration tous azimuts des conséquences des politiques d’économies d’énergie par les publics de ces politiques.

MOTS CLÉS : Economie d’énergie, norme sociale, énoncés de politique publique, public, pratiques discursives.


INFORMATION ET ACCOMPAGNEMENT

Eco-consommation et psychologie sociale: Un partenariat acteurs-chercheurs pour la transition énergétique.

Nicolas FIEULAINE (Université Lyon 2/Groupe de Recherche en Psychologie Sociale)
Frédéric MARTINEZ (Université Lyon 2/Groupe de Recherche en Psychologie Sociale)
Yvan BIDALOT (Agence locale de l’Energie de l’agglomération lyonnaise)
Diane GEFFROY (Psychologue sociale)

Comment sensibiliser aux enjeux climatiques ? Comment motiver les transitions nécessaires dans les modes de vie pour réduire l’impact des comportements sur le climat ? Quels sont les obstacles et les leviers pour développer l’attention aux enjeux écologiques ? A partir de ces questionnements partagés, le laboratoire GRePS de l’Institut de Psychologie accompagne depuis 2012 le réseau Info Energie Rhône Alpes, qui rassemble les acteurs de la sensibilisation aux économies d’énergie et à l’éco-consommation, dans ses initiatives et actions de communication et de sensibilisation. Cet accompagnement s’est appuyé sur les travaux récents en psychologie sociale sur les processus de changement, la temporalité et la communication. Au-delà des théories de l’engagement largement diffusées chez les acteurs, la démarche a consisté à interroger les perspectives (dans le temps, l’espace, le social) à partir desquelles les individus et les groupes abordent les enjeux liés à la transition écologique. Plus important encore, il a fallu interroger la convergence entre ces perspectives individuelles et les supports et environnements de communication proposés qui contribuent à définir des horizons et des climats qui s’ajustent plus ou moins à ceux des groupes visés par les actions.
A partir d’une observation et de l’analyse d’actions existantes (repas participatifs, ateliers de quartiers), une formation a été conçue, visant à faire apparaître par des mises en situations les facteurs psychosociaux à prendre en compte dans la conception des actions. Un accompagnent des actions a également été réalisé auprès des acteurs de l’éducation aux économies d’énergie de la région (expérimentation d’une « hotline » psychosociale proposant des conseils pour la conception et l’animation des actions). Enfin, ce partenariat a abouti à la co-conception de nouveaux outils de sensibilisation, en particulier le nouveau calendrier des fruits et légumes de saison , qui vise à favoriser l’achat de produits à faible impact environnemental (de saison, les produits sont plus souvent issus de la production locale et sont moins énergivores). Conçu, ainsi que la communication qui l’accompagne, dans le cadre d’une expérimentation de terrain, ce calendrier est l’occasion d’une étude de son impact sur les perceptions et les usages. Issus des besoins des acteurs, et des derniers développements théoriques en psychologie sociale, la démarche et ses résultats devraient alimenter le débat sur les enjeux, approches et outils pour favoriser la transition énergétique.
En tant qu’acteurs de terrain nous avions besoin de nous réinterroger sur nos pratiques éducatives, que ce soit dans la conception et les valeurs portés par nos action aussi bien que dans la manière de la présentation ou de la communication. L’enjeu étant particulièrement important notamment pour ce qui concerne la réduction des gaz à effet de serre des particuliers. On dépasse la cadre technique de conseils en énergie relativement « justifiables » pour un individu par les économies financières engendrées, pour aller sur le terrain plus personnel des motivations à changer ses habitudes de vie pour aller vers des modes plus sobres en carbone. Le regard extérieur de la psychologie sociale était nécessaire pour franchir ce pas.

MOTS CLÉS : Economies d’énergie, éducation, relations usagers-professionnels, accompagnement scientifique, psychologie sociale.


Effets de feedbacks normatifs sur les comportements et sur la représentation de la consommation d’électricité et de ses comportements.

Johanna LE CONTE (Université Paris Ouest Nanterre La Défense/LAPPS, EA 4386)

De nombreuses études illustrent l’efficacité des feedbacks normatifs en vue d’obtenir une réduction de la consommation en énergie. Ce type d’intervention semble prometteur dans les pays anglo-saxons (Ayres, Raseman & Shih, 2009 ; Petersen & al., 2007 ; Schultz et al., 2007 ; Nolan et al., 2008). Mais positionner son comportement par rapport à celui de ses voisins constitue‐t‐il, dans le contexte culturel français, un levier d’action efficace ? Quels sont les conséquences de cette intervention sur les comportements et la représentation de la consommation d’électricité ?

Dans une première étude, nous avons mis en place des feedbacks normatifs personnalisés portant sur les habitudes déclarées des participants et observé leur effet sur les estimations des comportements liés à l’électricité et de la consommation d’électricité associée. Le message informait le participant de sa position par rapport à la moyenne des étudiants les moins économes en énergie et à la moyenne de tous les étudiants. Dans une seconde étude, nous avons observé l’effet de feedbacks normatifs sur une activité plus ou moins routinière insérée dans un contexte professionnel, la mise en veille de son ordinateur pendant la pause déjeuner.

Les résultats de la première étude montrent que les participants déclarent systématiquement faire plus de gestes et consommer moins d’électricité dans le futur par rapport à aujourd’hui. Les feedbacks normatifs permettent de corriger ces estimations fantaisistes, notamment chez ceux ayant de faibles habitudes. Ces participants sont plus sensibles à la comparaison sociale intégrée au feedback, comparé aux participants ayant de fortes habitudes. Les feedbacks normatifs permettraient donc de concrétiser les estimations de certains individus. Dans la seconde étude, des changements importants de comportements après la mise en place de feedbacks descriptifs et injonctifs ont été observés. Les participants ayant reçu ces types de feedback et qui n’avaient pas pour habitude de mettre en veille leur ordinateur, ont par la suite adopté ce comportement. Chez les individus effectuant déjà le comportement cible à la base, nous observons un effet rebond, à l’instar de l’étude de Schultz et al. (2008) : un feedback, notamment descriptif, a un effet démotivant et diminue la performance. L’ajout d’une injonction permet de compenser légèrement ce résultat (sans pour autant le ramener à son niveau d’origine). Ces résultats nous indiquent donc la nécessité de considérer les comportements passés des individus avant de proposer un retour d’information sur la performance.

MOTS CLÉS : feedback, normes sociales, comportements, réduction de la consommation d’électricité.


L’Energy Living Lab, un écosystème d’innovation pour la transition énergétique.

Joëlle MASTELIC (Haute Ecole Spécialisée de Suisse Occidentale/HES-SO)

Le thème de l’ «Acceptance Sociale» est souvent mis en avant dans le domaine de l’énergie : comment faire en sorte que les innovations développées par les ingénieurs soient «acceptées» par les usagers ?

Le projet de recherche-action suivant s’appuie sur la recherche en innovation ouverte (Chesbrough, 2003). Il part du principe que l’usager ne devrait pas être en bout de chaîne de création de valeur, en tant que celui qui consomme et donc détruit la valeur, mais au début de la chaîne de création de valeur. Il participe à la création des offres de produits et services énergétiques dans un écosystème d’innovation appelé Living Lab, dans lequel un partenariat entre des acteurs publiques, privés et les usagers se met en place (Pallot et al., 2010).

Un projet pilote Energy Living Lab a été lancé par la HES-SO. Une interface physique et virtuelle a été mise au service des parties prenantes de la région pilote, le Chablais suisse, réunissant le distributeur d’énergie local, les transports publics du Chablais, un centre équestre régional ainsi que des associations d’usagers. Trois projets ont été sélectionnés pour tester les hypothèses suivantes : (H1) La méthode des Livings Labs est également applicable dans le domaine de l’énergie (H2) Les idées proposées par les usagers ont de la valeur pour les entreprises privées et publiques au sein du Living Lab.
Ces deux hypothèses ont pu être vérifiées. Le processus d’idéation du distributeur d’énergie a par exemple généré plus de 500 idées de nouveaux services d’efficacité énergétique et celles qui ont été les mieux notées par les experts vont être implémentées dans l’entreprise. Les méthodes impliquant un contact physique avec les usagers semblent générer de meilleurs résultats que celles basées uniquement sur des interfaces virtuelles. La prochaine étape consistera à intégrer de nouvelles entreprises dans l’écosystème d’innovation et à comprendre quelles sont les méthodes de co-création adaptées à chaque étape du processus d’innovation.

MOTS CLÉS : Living Lab, Innovation Ouverte, Développement Régional, Énergie.


Métrologie innovante et éco-comportements au service de la transition énergétique : le projet MIUSEEC au sein de Darwin.

Aline BARLET ( S.C. Psy ECCA ; Laboratoire GRECAU-ENSPABx)
Catherine SEMIDOR (Laboratoire GRECAU-ENSPABx)
Jean-Marc GANCILLE (Groupe Evolution)
Pascale BRASSIER (Nobatek)

En 2010, le groupe Evolution entreprend l’éco-rénovation d’un patrimoine bâti ancien, afin d’y proposer un programme d’activités tertiaires et commerciales, avec une volonté d’exemplarité énergétique et écologique à tous les niveaux : le Darwin éco-système.
Forts du constat que l’usage et les comportements représentent un facteur essentiel et encore sous-exploité dans la maîtrise énergétique, les initiateurs du projet Darwin souhaitent doter le site d’un dispositif de métrologie permettant de stimuler des usages éco-responsables. Or, il a été démontré que les seuls outils de feedback ne suffisent pas aux usagers pour changer leurs comportements. [1]
Le projet MIUSEEC propose donc de réaliser une interface de restitution des impacts environnementaux des usages et comportements, véritable tableau de bord écologique du bâtiment, accessible de façon simple et selon des logiques ludiques basées sur le principe de « gamification ».
Fondé sur une approche participative, ce projet vise également à accompagner les Darwiniens dans cette démarche de diminution du coût environnemental global de fonctionnement du projet, tout en préservant la qualité du cadre de vie.
MIUSEEC repose sur un travail pluridisciplinaire, fortement marqué par l’apport des sciences humaines et sur la participation des Darwiniens à chacune des étapes du projet, de l’analyse du contexte et des besoins à la phase d’évaluation.
En effet, si l’objectif premier de ce projet est de réaliser une interface, celle-ci doit être appropriée et appropriable, répondre aux attentes et aux besoins des Darwiniens tant du point de vue des contenus que de la forme pour avoir un réel impact comportemental.
Cet outil doit jouer le rôle de « condition externe facilitatrice » forte en favorisant le développement des comportements éco-responsables souhaités, d’autant plus que dans le cas de ce projet les attitudes initiales des locataires, vis-à-vis de la problématique énergétique notamment, sont déjà elles-mêmes fortement positives (adhésion au projet, signature d’un bail vert, …).
En somme, le projet MIUSEEC tente de répondre à une question fondamentale en matière de transition énergétique et écologique : sur quels leviers s’appuyer pour une réelle évolution des comportements et une implication sur le long-terme ?
Quelques éléments de réponse émergeront de l’analyse des différentes enquêtes et ateliers participatifs menés avec les Darwiniens dans le cadre de ce projet.

MOTS CLÉS :Sobriété énergétique, comportements éco-responsables, métrologie, démarche participative, bâtiment tertiaire.


Réflexions sur les motivations de l’engagement énergétique : Vers des profils énergétiques ?

Stéphane LA BRANCHE (Science Po Grenoble/ Chercheur Associé Pacte)

L’intervention propose de présenter les résultats croisés de trois différents projets de recherche sur les motivations (et les freins) des ménages à s’impliquer dans des mesures de sobriété et de gestion de l’énergie à domicile.
Le premier projet offre la première évaluation du Défi Famille à Energie Positive, le second porte sur l’appropriation des offres technologiques et de l’effacement d’expérimentateurs dans le cadre du déploiement d’un smartgrid, Greenlys, et le troisième, enfin, sur une expérimentation visant à être déployée sur l’ensemble des ménages du territoire grenoblois par GEG (« Empowering »), sur la capacité de l’information (facture mais aussi suivi par les nouvelles technologies. Notre analyse de FAEP a offert des premiers éléments de réflexions portant sur des profils énergétiques, que l’étude Greenlys a permis d’approfondir et en partie d’en confirmer l’existence. Ensuite, l’analyse d’Empowering a permis de confirmer les hypothèses de profils généraux dans la population. Une particularité de l’étude Empowering doit être notée : une plus forte proportion de ménages précaires, peu analysés par la littérature en matière de sociologie de l’énergie. Cette présence nous permet d’affiner encore davantage notre proposition de profils.
L’intervention présentera succinctement ces trois dispositifs séparément, pour présenter ensuite les profils identifiés dans chacun. Ensuite, il s’agira de comparer nos résultats, pour relever les points communs et expliquer les différences entre les trois groupes, en termes d’importance relative des profils qui fonctionnent selon les logiques suivantes : de confort ; économique ; écologique ; technoludique ; énergiphile et ; de maîtrise de l’habitat (et de soi !).
Nous verrons que si ces profils énergétiques existent dans les trois dispositifs, nous observons qu’ils n’ont pas tous la même importance ni le même poids selon le dispositif. Mais nous observons également des points communs importants transversaux à plusieurs profils et ce, quel que soit le dispositif. Notre analyse nous permet, finalement, de poursuivre nos réflexions sur l’importance relative des valeurs écologistes dans les gestes et pratiques quotidiennes que ce soit en matière de mobilité, d’habitat ou de sobriété et de gestion énergétique. De l’analyse prend le contrepoint d’une partie de la littérature et des questions sur ces enjeux : dans les trois cas analysés, les comportements sont encadrés par des acteurs extérieurs (une association Prioriterre, des grands acteurs industriels de l’énergie pour Greenlys, et une panoplie diversifiée pour Empowering (privé- GEG ; associatif –Hespul ; et parapublic, Agence Locale de l’énergie) qui mobilisent les individus parfois écologistes et parfois pas du tout, de diverses manières. La transition énergétique n’est pas que menée par des politiques publiques et des procédures de concertation institutionnalisées. Car dans les efforts de transition énergétique, les expérimentations sont nombreuses.

MOTS CLÉS : Énergie, représentations, comportement, profils énergétiques.


Freins et motivations à une plus grande efficacité et sobriété énergétiques – EMPOWERING : L’exemple d’une campagne de sensibilisation aux économies d’énergie basée sur le suivi des consommations.

Robin CORDELLA-GENIN (Sciences Po Grenoble)
Stéphane La BRANCHE (Sciences Po Grenoble)
Violaine de GEOFFROY (Agence Locale de l’Energie et du Climat de l’agglomération grenobloise)

Le thème de l’ «Acceptance Sociale» est souvent mis en avant dans le domaine de l’énergie : comment faire en sorte que les innovations développées par les ingénieurs soient «acceptées» par les usagers ?

A l’heure de la transition énergétique et du défi de la lutte contre le changement climatique, les politiques publiques ne cessent de quantifier des objectifs toujours plus élevés en termes d’économies d’énergie et de réduction de la consommation énergétique finale. Les ménages représentent à cet égard un groupe clé à cibler. L’accompagnement à une plus grande sobriété et efficacité énergétiques nous amène à revisiter les postulats selon lesquels l’amélioration de l’information des consommateurs amènerait des changements de comportements et les économies d’énergie souhaitées.
C’est dans ce contexte que prend place notre étude sociologique associée au projet Empowering, campagne œuvrant pour la Maîtrise de la Demande en Électricité via des outils de feedback et de suivi de la consommation, auprès de consommateurs résidant dans la ville de Grenoble.
Notre recherche a exploré les représentations de l’énergie ainsi que les leviers et les freins jouant un rôle dans l’appropriation – ou non – des informations censées amener des modifications de pratiques. Elle fait suite à d’autres recherches menées par S. La Branche sur ces questions (sur le Défi Famille à Energie Positive avec F. Sirguey, les smartgrids avec A-L. Nicolet ou les écoquartiers, Nexus, dirigé par G. Debizet) mais y apporte un regard nouveau, en accordant une importance spécifique aux ménages précaires. Si ces derniers ont été bien investis par la sociologie, ils ne l’ont été que partiellement en sociologie de l’énergie, et notamment sur les problématiques récentes d’efficacité, de sobriété et de gestion de l’énergie à domicile (souvent liées aux nouvelles technologies). L’analyse, fondée sur une trentaine d’entretiens semi-directifs et avec une comparaison avec d’autres études récentes sur les mêmes questions offre des réponses aux questions suivantes : les précaires ont-ils des représentations de l’énergie différentes des ménages non précaires ? Leurs profils énergétiques sont-ils différents ? Leurs valeurs, motivations et freins en matière de sobriété et de gestion de l’énergie à domicile diffèrent-ils ? Notre analyse offre ainsi, plutôt qu’une critique, un approfondissement de résultats déjà produits dans ce champ.
La première partie de l’intervention présentera les profils des expérimentateurs, leurs motivations, leurs logiques d’action et la façon dont leurs pratiques de consommation d’énergie, qui en découlent – ou parfois fonctionnent en autonomie –, se construisent. La seconde répondra aux questions soulevées en y offrant des éléments d’explication. Cette recherche suggère que les motivations des précaires ne sont pas fondamentalement différentes de celles détectées dans d’autres études. Cependant, on note des différences dans leurs représentations et leurs profils énergétiques. Notamment, ils tendent à être davantage dans des logiques d’action plurielles – parfois complémentaires, parfois en opposition.

MOTS CLÉS : Sobriété énergétique, changement de comportement, suivi de consommation, précarité énergétique, profils énergétiques.


Communication et changement de comportement : analyse de 40 ans de campagnes de communication de l’ADEME pour la réduction de la consommation énergétique dans les logements.

Aurélien ALFARÉ (Université Lyon1)
Benoit URGELLI (Sciences Po Grenoble)
Eric TRIQUET (ESPE Ecole Supérieur du Professorat et de l’Education Grenoble,; Université Claude Bernard Lyon 1/laboratoire S2HEPH )

Depuis le premier choc pétrolier en 1973, les pouvoirs publics français tentent d’agir sur le comportement des ménages pour réduire leur consommation d’énergie. Pour ce faire, ils lancent régulièrement – via l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (ADEME) – des campagnes de communication « grand public » promouvant des comportements économes. Mais des études sociologiques (Brisepierre, 2013 ; Comby, 2013 ; Pautard, 2009) ont montré que ces campagnes n’ont pas engendré de changement majeur de comportement. Cet échec serait dû, au moins en partie, à un modèle de communication de l’ADEME construit autour d’une certaine représentation des publics et d’un certain rapport aux savoirs et à l’expertise scientifique.
Afin d’explorer cette hypothèse, nous avons tenté de caractériser ce profil communicationnel et son évolution depuis 1973. Partant d’un cadre théorique entre didactique et communication dans une perspective de science studies, nous considérons que les plaquettes de communication de cette agence sont des discours constitués de savoirs, certains « socialement vifs », qu’il s’agit de transmettre à des publics variés (niveau de connaissances, sensibilité aux problèmes d’environnement, etc.) afin de modifier leur comportement de consommation d’énergie. Nous avons analysé ces plaquettes de communication afin de préciser leur structure discursive (Charaudeau, 2008) ainsi que le rapport aux savoirs (Favre, 1997), le traitement des controverses (Moreau, 2014) et la représentation des publics (Trench, 2008) dans ces discours.
Les résultats de notre analyse des plaquettes révèlent que le profil communicationnel de l’ADEME est stable depuis 40 ans. Le discours, d’apparence consensuelle, mobilise l’expertise scientifique pour présenter des solutions que les ménages doivent mettre en œuvre pour en tirer des bénéfices, principalement économiques. Les ménages sont perçus comme un public uniforme, à informer, et en attente de solutions pour réduire leur consommation énergétique. L’ADEME expose par ailleurs un rapport « dogmatique » aux savoirs (Favre, 1997) qui tend à exclure les controverses, comme par exemple celle portant sur les lampes à basse consommation.
Même si l’analyse menée ici reste partielle au regard de la diversité des stratégies de communication de l’ADEME visant le changement de comportement, nous pensons avoir commencé à caractériser un modèle de communication. Nous reformulons aujourd’hui notre hypothèse de la manière suivante : ce modèle peut être un obstacle aux changements dans la mesure où il ne prend pas suffisamment en compte les spécificités des publics en termes de questionnement, de valeurs, de représentation et dans la mesure où il ne parvient pas à inscrire la communication dans une visée citoyenne.

MOTS CLÉS : Economies d’énergie, comportement, discours, savoirs, publics.


L’appropriation du suivi des consommations d’énergie et ses conditions d’efficacité sur les pratiques habitantes.

Gaëtan BRISEPIERRE (sociologue indépendant, bureau d’études GBS)

Les pouvoirs publics ont décidé la généralisation dans tous les foyers français de compteurs communicants pour l’électricité et le gaz d’ici à 2020. Ces investissements, qui seront remboursés via un prélèvement sur les factures d’énergie des consommateurs, sont officiellement justifiés par la prétendue capacité de ces dispositifs à générer des économies d’énergie. Autrement dit, ils reposent sur l’hypothèse selon laquelle l’amélioration de l’information du consommateur grâce au service de suivi l’incitera à adopter des comportements plus économes.
Cette communication a pour objectif d’infirmer ce postulat en montrant que l’information n’est efficace que dans le cadre d’un dispositif plus global d’accompagnement au changement. Elle repose sur quatre enquêtes de terrain réalisées sur les acteurs et les participants de campagnes de sensibilisation à la maitrise de l’énergie incluant le principe d’un suivi individualisé et actualisé des consommations. D’un côté des dispositifs mis en place par des bailleurs sociaux suite à l’entrée dans un BBC ou à l’installation d’un système d’affichage TV des consommations, de l’autre le concours Famille à Energie Positive dans deux régions françaises.
D’une part, nous mettrons en évidence que l’information n’existe pas en soi, elle est diffusée via des dispositifs dont il faut comprendre le sens pour les acteurs. L’intérêt affiché par les habitants pour les données de consommation reste très limité, cette désaffection renvoie à des conditions d’entrée dans le dispositif bien souvent décourageantes. Pour autant, ces données apparaissent comme une condition de possibilité de nouveaux dispositifs de sensibilisation portées par les acteurs territoriaux. L’usage de ces données est à la fois le support de financement de ces campagnes mais aussi de nouvelles relations avec les participants. De plus, l’agrégation de ces données laisse entrevoir de nouvelles possibilités d’action de maitrise de l’énergie au niveau d’un parc de bâtiment ou d’un territoire.
D’autre part, nous montrerons que les services de suivi des consommations ne peuvent aboutir à des changements de comportements durables que s’ils sont insérés dans un dispositif reposant sur trois leviers : cognitif, matériel et social. D’abord, l’appropriation des données de consommation brute est très relative, elles prennent sens quand elles sont associées à des apprentissages concrets concernant les moyens d’action ainsi qu’à une valorisation sociale des gestes économes. Ensuite, la dimension matérielle à travers tous les objets qui contribuent à soutenir les efforts de modification des routines quotidiennes, ainsi que l’inscription dans un cours d’action de long terme visant la transformation du bâti. Enfin toutes les dynamiques relationnelles qui s’instaurent au sein des familles, entre les participants à une même campagne, et avec les porteurs, jouent en définitive un rôle clé sur la métamorphose des pratiques dans la durée.

MOTS CLÉS : Campagne de sensibilisation, Changement des comportements, Compteurs communicants / intelligents, Suivi des consommations, Accompagnement.


Linky, la fabrique d’un conteur électrique.

Marc POUMADERE (Institut Symlog, Paris)
Raquel BERTOLDO (Université Aix-Marseille)

Face aux menaces du changement climatique, les pouvoirs publics visent l’objectif d’une société plus sobre énergétiquement. Une plus grande efficacité est espérée en numérisant le réseau électrique et la consommation d’électricité, grâce notamment à une meilleure prise de conscience par l’usager de ses choix et comportements. Au sein de ce dispositif, le nouveau compteur communicant paraît emblématique des efforts engagés. Un échange entre les individus et leur « conteur électrique » est attendu, dans la mesure où un feed-back rapide et précis sur la consommation d’électricité leur permettrait d’expérimenter de nouveaux usages.
Une recherche de terrain auprès de personnes équipées du nouveau compteur Linky et reposant sur un ensemble méthodologique d’inspiration ethnographique (réunions de groupes, journal individuel, questionnaires, élaboration collective) a permis d’approcher les modalités d’appropriation concrète du compteur communicant.
Les raisonnements des participants portent d’abord sur l’objectif de la consommation durable qui paraît difficile à mettre en œuvre dans la vie quotidienne, bien que globalement accepté. Sont considérés ensuite différents niveaux de responsabilité pour départager ce qui relève des sphères publique ou privée. Les participants relèvent également la contradiction entre la quête d’une certaine sobriété et l’incitation généralisée à consommer plus. Enfin, le modèle dominant de l’individualisme consumériste est mis à distance pour envisager des modes de consommation plus collective et conviviale.
L’utilité du feed-back pour faire des économies n’est donc pas a priori remise en cause et Linky semble pouvoir trouver sa place de « conteur électrique ». Toutefois, il convient de relever que l’implication des participants dans les délibérations et l’élaboration en petit groupe, a vraisemblablement contribué à faciliter l’appropriation du compteur communicant comme innovation technologique et instrument de politique publique. Dans ces conditions, une forme d’empowerment a renforcé la capacité d’innovation des participants. Le nouveau compteur, investi en tant qu’objet social, a déclenché une prise de conscience plus large de la consommation, devenue un enjeu de changement à considérer sur plusieurs niveaux.
Le compteur communiquant apparaît simultanément comme un dispositif technologique, un instrument de politique publique, et un objet social. La fabrique de cet ensemble « socio-politico-technique » est complexe car chaque axe est irréductible aux autres. L’objet social peut jouer un rôle central dans la mesure où il rend possible une appropriation créative des fonctionnalités techniques pour contribuer à la politique publique de sobriété. Le déploiement du nouveau compteur constitue une opportunité rare d’associer les citoyens aux enjeux de la transition énergétique. Il s’agit donc d’un test pour la société: est-elle capable de décloisonner son fonctionnement pour ouvrir effectivement la réflexion au plus grand nombre ?

MOTS CLÉS : Linky, feed-back, ethnographie, empowerment, ouverture.


Familles à Energie Positive, un exemple d’incitation à la sobriété énergétique : quelles dynamiques sous-jacentes ?

Evelyne CORDEAU (Université de Nantes/LEMNA-TEPP)

Cette communication repose sur le terrain d’études de ma thèse, à savoir le défi Familles à Energie Positive. En effet, ce défi cherche à transformer les modes de vie des participants afin de les amener vers une sobriété énergétique. Nous nous interrogerons alors sur le profil des participants au défi et sur les déterminants liés à leur réussite.
Tout d’abord, expliquons un peu le défi : il existe en France depuis 2008, mis en place par l’association Prioriterre, comme une adaptation du défi au niveau européen Energy Neighbourhoods. L’objectif est de réduire les consommations énergétiques d’au moins 8% par rapport à l’hiver précédent en modifiant seulement son comportement par des éco-gestes. Cela concerne tous les éco-gestes prescrits pour diminuer l’énergie liée à son chauffage : baisser la température, nettoyer ses radiateurs, mettre un isolant dernière le radiateur … C’est également valable pour les dépenses énergétiques liées à la cuisson, comme pour les dépenses d’électricité. Ce défi repose sur l’idée d’équipe (les performances individuelles ne comptent pas, seule la baisse de toute l’équipe est significative) avec un capitaine qui sert d’animateur et de relais d’informations entre les familles et l’organisateur. En moyenne, sur l’édition 2013-2014, les équipes participantes en France ont réalisé 18% d’économie d’énergie par rapport à l’année précédente, donc au-delà de l’objectif fixé.
Grâce aux données de consommation énergétique des participants de l’édition 2013-2014 et à un questionnaire adressé à l’été 2014, nous chercherons à dresser plusieurs profils de consommateurs selon les variables socioéconomiques, le mode de vie de la famille, etc., mais nous explorerons aussi les causes de leur réussite dans le défi. En effet, on remarque par exemple, un lien fort entre l’appréciation du défi et la réduction de la consommation énergétique. Nous souhaitons ainsi mettre en exergue le processus de changement via les notions utilisées souvent en psychologie sociale et en sociologie telles que l’engagement, l’importance d’un objectif chiffré, le rôle des feedbacks soit le suivi de la consommation en temps réel, mais aussi le rôle de l’entourage c’est-à-dire le pouvoir de la norme sociale «de proximité» sur le changement de comportement, ou encore la sensibilité environnementale. Nous espérons aussi pouvoir compléter l’analyse avec un questionnaire sur la pérennité des gestes sur les premiers participants.
Pour conclure, cette communication repose sur la mobilisation de différents champs disciplinaires comme l’économie, la sociologie, la psychosociologie, voire les sciences politiques en considérant le défi pour une action de politique publique visant à réduire les émissions de CO2 de son territoire. Ainsi, il est important de mieux connaitre les habitants qui s’inscrivent volontairement dans cette recherche de sobriété, afin d’améliorer les processus de changement de comportement des habitants dans la lutte contre le changement climatique.

MOTS CLÉS : Economie de l’environnement ; Comportements énergétiques ; Sobriété ; Incitations comportementales.


Réduire la consommation d’énergie domestique avec les Smart Grids : politiques d’accompagnement et d’incitation dans les Smart Communities japonaises.

Benoit GRANIER (Université de Lyon /Institut d’Asie Orientale-IAO – UMR 5062)

Face au défi de la transition énergétique, un consensus semble se cristalliser sur la nécessité de favoriser un certain nombre de changements sociaux et techniques. En particulier, les individus devraient impérativement consentir à changer leurs comportements et modes de vie. Ils sont ainsi incités non seulement à réduire leur consommation d’énergie, mais également à vivre de manière appropriée avec un certain nombre de dispositifs techniques devant produire des économies d’énergie substantielles.
Cependant, les promesses d’économies d’énergie portées par ces systèmes techniques (Renauld 2012, Zélem 2010), au premier rang desquels les « réseaux électriques intelligents », sont loin d’être tenues et les résultats s’avèrent décevant. En effet, d’une part les habitants sont écartés de la conception de ces systèmes, qui ne prennent par conséquent que peu en compte leurs pratiques ; d’autre part le manque d’accompagnement concernant l’usage des dispositifs techniques expliqueraient ces déconvenues (Zélem, Gournet & Beslay 2013, Strengers 2013).
L’ambition de la communication est de s’intéresser à des expérimentations de « réseaux électriques intelligents » qui, à défaut d’impliquer les habitants dès la conception, vont au-delà de la simple et insuffisante transmission d’information (Bartiaux 2008) et mettent en oeuvre d’ambitieux dispositifs d’accompagnement et de conseil tout en ajustant certains éléments du système technique en fonction du feedback des usagers. Ces caractéristiques – non-exhaustives – sont en effet celles des quatre Smart Communities, sélectionnées et soutenues par le gouvernement japonais depuis 2010. Il conviendra d’étudier l’articulation de ces mesures d’accompagnement avec la multiplicité d’incitations économiques, ludiques, sociales et morales délivrées. Enfin, il s’agira aussi d’analyser les effets de ces outils sur l’engagement et les pratiques de consommation d’énergie des habitants, et d’identifier les limites et impensés d’une telle stratégie.

MOTS CLÉS : Smart Grids / réseaux électriques intelligents, transition énergétique, consommation domestique, changement de comportement, Japon.


La maîtrise de l’énergie par la rénovation énergétique et les systèmes d’information en logement social.

Christophe BESLAY (BESCB)
Romain GOURNET (BESCB)

En France, près de 10 millions de personnes vivent en logement social, 755 bailleurs sociaux gèrent quelques 4,2 millions de logements. Ces logements concentrent les ménages en grande difficulté sociale (vieillissement, insécurité, paupérisation, précarité énergétique, etc.). De leur côté, les bailleurs sociaux font évoluer leur patrimoine vers des bâtiments performants (constructions et rénovations de type BBC) qui modifient les modes d’habiter. L’accompagnement des locataires devient une condition de la performance énergétique des nouveaux logements et de la prévention de la précarité énergétique.
La communication reposera sur l’expérience de Pas-de-Calais Habitat, 3ème office public de l’habitat en France, avec près de 40.000 logements, qui se pose en bailleur innovant, porteur de nouvelles solutions techniques et à l’écoute de ses locataires. Dans le cadre de deux programme européens (IFORE – Innovation For REnewal – et EnergyTic), Pas-de-Calais Habitat a mis en œuvre un accompagnement sociotechnique global basé sur : 1) une opération innovante de rénovation de maisons individuelles (isolation par l’extérieur, murs trombes, fenêtres pariétodynamiques, etc.), 2) l’organisation d’activités collectives pour les locataires : ateliers d’échanges en amont des travaux de rénovation, visites inter sites, visites transmanche, manifestations festives, etc. 3) le recrutement d’une équipe d’Ambassadeurs de l’habitat pour accompagner les locataires dans l’appropriation de leurs nouveaux logements, 4) l’information énergie avec un service de suivi des consommations d’énergie sur tablettes numériques dont plus de 300 ont été distribuées à des ménages volontaires, 5) l’évolution du métier des personnels de proximité dont près de 600 vont être formés à l’accompagnement des locataires à la maîtrise de l’énergie.
L’analyse de ces opérations montre que les solutions techniques ne suffisent pas, mais doivent être accompagnées par des acteurs humains de confiance. L’accompagnement à la maîtrise de l’énergie devient un prétexte à l’instauration de nouvelles dynamiques sociales et de nouvelles relations de proximité entre le bailleur et les locataires, ouvrant de manière non stigmatisante sur l’ensemble des problèmes auxquels sont confrontés les ménages (santé, isolement, budget, etc.). De leur côté, les personnels de proximité voient leur métier considérablement revalorisé, passant de la gestion des réclamations et des poubelles, au conseil sociotechnique et à l’écoute des problèmes des ménages. Ces orientations bousculent les formes de management et l’ensemble de l’organisation du bailleur qui doit adapter ses fonctionnements internes et s’ouvrir à de nouveaux services à la personne.

MOTS CLÉS : logement social, rénovation, information énergie, accompagnement sociotechnique, évolution des métiers.


L’importance du facteur sociologique dans l’expérimentation de Watt & Moi, un dispositif de suivi détaillé de sa consommation d’électricité sur Internet.

Mikaël LEGROS (Senzo, Institut d’études sociologiques et marketing)
Émilie BLOSSEVILLE (Senzo, Institut d’études sociologiques et marketing)
Fabien COUTANT (Atlante & Cie, Cabinet de conseil en stratégie en énergie)

ERDF, gestionnaire du réseau public de distribution de l’électricité et GRANDLYON HABITAT, bailleur social de l’agglomération de Lyon, ont mené pendant deux ans l’expérimentation Watt & Moi : 1 116 foyers équipés des compteurs d’électricité communicants Linky ont eu accès à leurs données détaillées de consommation d’électricité via un site Internet securisé et ont bénéficié d’un accompagnement pédagogique.
Alliant enquêtes sociologiques sur toute la durée de l’expérimentation et analyses quantitatives, Watt & Moi a permis d’analyser en profondeur la manière dont les locataires ont accueilli le dispositif, se le sont approprié et ont fait évoluer leurs comportements en matière de gestion de l’énergie. Le projet a été mené sous l’égide de la Commission de Régulation de l’Energie et l’ensemble des résultats a été régulièrement communiqué auprès de l’ensemble des acteurs de l’énergie.
Cette expérimentation, unique en France, a démontré au bout de deux ans que l’adoption d’un service tel que Watt & Moi repose avant tout sur une éducation et un héritage comportemental propices. Le service a été très apprécié des utilisateurs et son usage s’ancre dans leurs habitudes de consultation sur Internet. Watt & Moi constitue un outil de sensibilisation efficace, qui responsabilise les consommateurs, les incite à mieux suivre leur dépense énergétique et guide leurs pratiques de maîtrise de l’énergie.

MOTS CLÉS : Linky; maîtrise de l’énergie; éducation; site Internet; évolution des comportements.


SMART GRIDS : ENJEUX D’ACCEPTABILITE ET CONDITIONS D’APPROPRIATION

Smart grids demonstration and the responsive electricity consumer.

Alain NADAÏ (CIRED/CNRS)
Catherine GRANDCLÉMENT (EDF R&D/GRETS)

Notre contribution s’intéresse à l’émergence d’un nouveau type de consommateur dans le secteur de l’électricité, que nous choisissons de nommer «responsive consumer». L’adjectif «responsive» renvoie à l’idée de « demand-response », un terme utilisé par les acteurs du secteur de l’électricité pour désigner la possibilité pour la demande d’électricité – et donc, pour le consommateur d’électricité – de devenir réactif aux signaux prix. Ce consommateur réactif est réceptif à des incitations prix, capable de contribuer à l’effacement des pointes de consommation en modulant sa demande et en déplaçant ses usages dans le temps, afin de prendre part à l’équilibre du réseau électrique. L’adjectif « responsive » renvoie aussi à l’idée de responsabilité, qui suggère qui une pris en compte de la dimension environnementale au travers d’une attention à la consommation d’énergie. Le consommateur « responsive » pourrait donc également répondre à des signaux non-prix tels que la congestion du réseau, l’origine de l’électricité (renouvelable ou non), etc.
Dans le secteur de l’énergie, le réseau intelligent est l’objet technico-économique autour duquel s’articule la construction de ce consommateur. Des investissements importants ont été engagés dans ce domaine par les gouvernements, les acteurs de la filière électrique et des technologies de l’information en Europe et aux États-Unis. Le réseau intelligent est un réseau bi-directionnel, capable de transporter des flux bidirectionnels d’énergie et d’informations en temps réel, ouvrant ainsi de nouvelles possibilités pour la gestion du réseau électrique.
Depuis 2011, un enjeu majeur de l’émergence de ces réseaux dans les documents politiques de l’UE est la construction du futur consommateur. Par bien des aspects, ce futur utilisateur est positionné comme l’entité nécessaire à la viabilité des réseaux intelligents. Sa construction est au cœur des visions et des modèles d’affaires émergents autour de ces réseaux. En France et dans l’UE, ces visions se concrétisent au travers d’une politique de ‘démonstration’ visant à faire émerger un marché dans ce secteur à partir de la recherche. Les ‘démonstrateurs’ sont les sites au travers desquels est construit le nouveau consommateur tout autant qu’articulée la politique censée le porter à existence.
Notre contribution rend compte d’une recherche en cours. Elle propose un cadre d’analyse, inspiré de la sociologie acteur réseau, qui permette de suivre la construction du « responsive » consommateur à partir des sites de démonstration, tout en tenant compte de leur insertion dans la politique de démonstration de l’UE et de la France.
Nous procédons en trois étapes. Dans un premier temps, nous présenterons notre matériau et notre cadre d’analyse. Nous nous tournerons ensuite vers l’analyse de l’articulation consommateur / démonstration dans la politique européenne puis française des réseaux intelligents. La troisième partie se concentrera sur la controverse relative au rôle du consommateur dans le développement du compteur intelligent « Linky » en France.

MOTS CLÉS :


Acceptation sociale ou conditions socio-politiques, collectives et marchandes de développement d’innovations dans le domaine de l’énergie ?

Pierre FOURNIER (Aix-Marseille Université/LAMES, UMR 7305, CNRS)
Frédéric RYCHEN (Aix-Marseille Université/GREQAM, UMR 7316, CNRS-EHESS)

Les questions d’acceptation sociale sont évoquées à propos de propositions techniques et économiques qui, censées répondre à des problèmes, provoquent une opposition forte de la part des utilisateurs ou des usagers potentiels. Le porteur de projet a tendance à analyser cette opposition comme le rejet d’une solution pourtant satisfaisante de son point de vue. La notion d’acceptation sociale est alors convoquée pour comprendre les motifs « sociaux » de rejet et, après identification, pour trouver des dispositifs de contournement ou de compensation afin d’entraîner une adhésion au projet proposé qui pourra conduire à sa mise en œuvre.
L’écueil le plus fort dans cette manière d’appréhender la problématique d’acceptation sociale et dans la manière d’y convoquer les sciences humaines (souvent comme intermédiaires vers la sollicitation du soutien de l’action publique) est la croyance en la robustesse de la solution technico-économique proposée et dans l’espérance que l’adjonction de dispositifs socio-politiques, tels que des séances d’information ou de débat, des cadres d’injonction… seront susceptibles de faire comprendre la rationalité profonde du projet et ainsi de faire disparaître la majorité des oppositions.
Notre proposition, établie sur l’exemple de déconvenues autour de projets de smartgrid et d’utilisation de di-hydrogène pour enrichir un combustible au gaz, est de considérer que la question d’acceptabilité sociale est plus complexe et renvoie souvent à des problèmes posés unilatéralement et à des dispositifs technico-économiques mal calibrés. L’acceptabilité « sociale » des projets est en fait multi-dimensionnelle et peut se décliner de façon plus adaptée en une acceptabilité socio-politique, une acceptabilité collective et une acceptabilité marchande.
- L’acceptabilité socio-politique recouvre l’implication de dispositifs d’aide et de promotion, de régulations qui structurent la communication, l’environnement réglementaire et les incitations de tous les acteurs autour du projet pour obtenir des modifications des conduites.
- L’acceptabilité collective se construit en référence aux effets locaux du projet sur une communauté, qui agrègent à la fois ses effets directs et l’ensemble des externalités, positives et négatives, bénéfices et complications, par lesquels les conditions de vie d’un certain nombre de personnes sont modifiées ou affectées par le projet.
- L’acceptabilité marchande fait référence à l’adhésion d’une demande et à la capacité du projet à proposer une valeur ajoutée claire sous forme d’usages, de produits ou de services correspondant à la satisfaction de besoins à naître ou à l’amélioration de la satisfaction de besoins identifiés. Sans perdre de vue que la perspective marchande ne fait leur part qu’aux inégalités de ressources économiques pour envisager cette satisfaction alors que les marquages du prestige social ou de l’appartenance ethnique, de la reconnaissance éthique… peuvent être d’autres moteurs de l’engagement individuel dans la pratique nouvelle.

MOTS CLÉS : Acceptation sociale, marché, expérimentation, hydrogène, smart grid.


Mesurer, tarifer, vendre l’électricité. La place du client particulier dans les processus de conception et de gestion du compteur d’électricité communicant.

Aude DANIELI doctorante Cifre en sociologie (ENPC/LATTS/UPEM/CNRS ; GRETS, EDF R&D)

De fait de l’ouverture des marchés à la concurrence, la figure du client occupe une place centrale dans le mode d’organisation des réseaux électriques. En prenant l’exemple de la modernisation récente des compteurs d’électricité, cette contribution interroge la portée des transformations techniques de cet objet technique s’agissant d’un champ peu couvert par les chercheurs : la description des pratiques sociales des compteurs d’électricité. A première vue, cela peut surprendre à plus d’un titre. Objet pour le moins trivial et peu usuel, le compteur d’électricité apparaît comme une technologie totalement oubliée dans les pratiques sociales. Pourtant, un important travail des autorités publiques, des industriels, des fournisseurs d’énergie, ou d’associations de consommateurs vise au contraire, à encourager les clients, à se saisir des nouvelles potentialités techniques du compteur communicant (smart meter), souvent présenté comme un outil de rupture technologique, inséré dans un modèle d’action de transition énergétique. Dans le même temps, à l’occasion d’une phase expérimentale d’ampleur (2010-2011), il a suscité des critiques variées (ex. surfacturation, risques sanitaires, refus de la pose du compteur, etc.).
Il s’agit ici de démontrer que cet objet technique, du point de vue des activités de la distribution d’électricité, est ancré dans une problématique de conception et de gestion : il est ainsi le fruit d’une conciliation entre un impératif de la satisfaction de la clientèle et les nombreuses autres contraintes dans la gestion quotidienne de cet objet, par les collectifs de travail. Contrairement à la vente d’autres biens de consommation, celle de l’énergie est distribuée chez les 35 millions de « clients particuliers » (collectivités, artisans, clients domestiques, etc.) et le calcul de cette consommation de masse en passe par une médiation technique (le compteur installé chez le client, éloigné des organisations).
En retraçant les dernières évolutions techniques de cet objet oublié, et à travers quelques cadres d’usage ordinaires du compteur qui ont été observés à l’issue d’une vaste enquête menée en 2014 dans les «mondes sociaux du compteur d’électricité», l’analyse jette un regard inattendu sur la société de consommation et sur les chemins que doit parfois emprunter une innovation d’entreprise, « hors les murs », pour s’imposer et se pérenniser dans les espaces domestiques et les petites entreprises. Le compteur communicant apparaît finalement, du point de vue de l’entreprise, comme un outil de « satisfaction clientèle » qui vient pacifier des situations antérieures conflictuelles, qui peut s’observer parfois dans la relation de service entre les consommateurs et les acteurs d’interface (techniciens, releveurs, téléconseillers). Plutôt qu’un outil de transition énergétique, pour l’heure, il se présente comme un outil de « moralisation du marché » où la valeur même de l’électricité, que ce soit sous l’angle économique ou moral, est requestionnée, par de multiples acteurs sociaux, à travers les cadres d’usages du compteur d’électricité.

MOTS CLÉS : smart meters, conception, usages, tensions, satisfaction clientèle.


La technologie est la réponse. Mais quelle était la question ?

Marie-Haude CARAËS (École supérieure des beaux-arts de Tours)

Les réseaux électriques utilisent depuis longtemps, mais de manière dédiée et fermée, des systèmes de communication électronique et d’information pour assurer la transmission des données nécessaires à la gestion de la production, du transport et de la distribution d’énergie. L’enjeu consiste désormais à créer des réseaux de communication et d’échange fondés sur une approche décentralisée et ouverte afin de développer une gestion plus fine, plus agile en temps réel de l’énergie électrique de la production jusqu’au consommateur final – les smart grids. La communication doit être bidirectionnelle, les producteurs, les distributeurs doivent être informés de la demande en temps réel et le client final doit être informés de l’état du réseau afin de prendre certaines décisions : lancer sa machine à laver plus tard, éteindre les appareils en veille, etc. Cette approche repose sur le développement d’interfaces entre les systèmes de communications, d’information et de production côté offre et côté demande. « L’approche smart grids nécessite une couche de services et d’applications qui assurent, pour les utilisateurs des réseaux une accessibilité aux informations, des analyses pertinentes, une historisation et la possibilité de réagir en activant des fonctionnalités adaptées ou en ajustant le comportement de consommation électrique en temps réel.» (Tera Consultants pour CRE, 2012 < http:// www.smartgrids-cre.fr/ >.)
Les interfaces énergétiques n’ont pas attendu les smart grids pour se développer. Si leur existence précède celle des réseaux électriques intelligents, elles sont néanmoins amenées à se développer et se complexifier dans l’infrastructure des smart grid. Quel est le rôle de ces différentes interfaces ? Où sont-elles installées ? Quelles formes prennent-elles ? Quelles données récoltent-elles ? Quelles informations transmettent-elles ? Comment l’usager fait-il usage de ces dispositifs ? Quelles actions de commande est-il en mesure d’engager ? Comment le développement actuel des interfaces (design d’information, gestuelle, etc.) influence-t-il la conception des interfaces énergétiques ? L’état de l’art des interfaces énergétiques, réalisé à partir des disciplines créatives, dont une synthèse sera présentée dans cette communication, s’attache à apporter des réponses à ces questionnements en recensant, décrivant, triant et classant les interfaces énergétiques les plus innovantes à l’échelle internationale – celles déjà effectives et celles en devenir dans le cadre du déploiement de la stratégie smart grid : les interfaces domestiques (partie 1), puis les interfaces collectives à l’échelle du bâtiment et de l’urbain (partie 2). Cet état de l’art documente au final l’enjeu technico-social des smart grids via la recensement de projets qui organisent le traitement des données récoltées et transmises (partie 3).

MOTS CLÉS : Interface énergétique, design d’information, smart grids, usager, données.


Eco-comportements et usages.

Farid ABACHI (Union Sociale de l’Habitat)

Dans le cadre de la réalisation de ses engagements en faveur d’une construction neuve et d’une rénovation du parc existant en un patrimoine à hautes qualités environnementales et à hautes performances, et ce dans un contexte de forte crise économique et sociale touchant les ménages les plus modestes, le Mouvement Hlm s’est fortement mobilisé pour conduire des opérations intégrant une maîtrise des charges liées aux enjeux énergétiques, en particulier pour ses occupants les plus modestes.
Les éléments saillants d’études précédentes montrent que la réduction significative des consommations énergétiques passe par une conjugaison optimale de trois facteurs : des composantes techniques passives (qualité du bâti renforcée : isolation…), des composantes techniques actives (installation d’équipements performants pilotés avec efficacité) et un aspect comportemental, par la sensibilisation des habitants et des acteurs de proximité des organismes, dans leur capacité à maîtriser la demande en énergie.
Les conditions de réalisation des opérations ont montré les limites d’une course aux performances orientées vers les seules efficacités techniques intrinsèques, malgré les fortes innovations enregistrées ces dernières années. Par ailleurs, les premiers retours d’expériences ont montré l’impact de ces solutions actives et passives innovantes sur les comportements pour un « bon » usage de ces nouveaux équipements installés : elles perturbent les usages, les modes de vie comme les habitudes acquises et nécessitent une réelle appropriation des dispositifs par les populations résidentes dans ces logements très performants, au risque d’une annulation des gains espérés (« effet rebond » ou expression de nouvelles aspirations de confort, dysfonctionnements, risques sanitaires et techniques…).
Dès lors, il apparaît nécessaire de mieux prendre en compte les composantes comportementales.
De nombreux organismes Hlm ont initié des dispositifs de sensibilisation et d’accompagnement de leurs locataires, pour une maîtrise des consommations énergétiques. Un premier panorama a montré l’éventail de ces actions, entre celles qui visent à « conscientiser » les performances accrues d’un bâtiment par ses usagers, celles qui permettent de former les occupants au bon fonctionnement des équipements installer et celles qui indiquent les « bons » gestes et comportements à suivre – au risque de résistance dans les comportements et de déviance dans les usages.
L’USH et la CDC ont lancé une étude visant à compléter un panorama et évaluer ces différentes actions, menées par les organismes Hlm à destination de leurs locataires. Quelles en sont les attendus, leurs portées, les indicateurs pertinents, les risques et limites… ?
Notre contribution présentera les conclusions de cette étude, qui a vocation à accompagner les bailleurs sociaux dans la mise en place de tels dispositifs à destination de leurs collaborateurs et locataires.

MOTS CLÉS : Accompagnements, organismes Hlm, locataires, maitrise des consommations énergétiques, Lutte contre l’effet rebond.


Affichage des consommations et réflexivité des ménages: construire une Culture domestique de l’Energie par l’information.

Christèle ASSEGOND (Université François Rabelais-TOURS/CETU ETIcS ; Laboratoire CITERES)

Longtemps maintenu dans une posture de passivité voire d’ignorance, le consommateur citoyen est aujourd’hui mis en demeure de prendre une part active dans la transition énergétique. Mais comment l’impliquer dans un processus qui le concerne, mais dont les enjeux collectifs lui échappent ? Une des voies activement explorée repose sur l’hypothèse qu’une mise à disposition d’informations sur les consommations d’énergie permettrait de faire évoluer favorablement les pratiques des ménages vers plus de sobriété. D’un point de vue institutionnel, la performance des dispositifs d’information est généralement analysée à partir de sa capacité à induire des économies d’énergie immédiates. La pertinence d’une évaluation basée sur cet unique critère technico-économique est aujourd’hui largement discutée et les recherches, en particulier sur les terrains européens, tentent de qualifier plus finement les liens entre informations et prise de conscience des enjeux énergétiques.
Les résultats de la recherche collaborative AffichEco menée de 2010 à 2013 en région Centre (France) montrent, à partir de l’observation sociologique de la réception d’un dispositif technique d’affichage permanent des consommations électriques par postes, que l’information n’agit pas comme un stimulus appelant une action simple en retour mais qu’elle engage des processus de nature complexe. Ainsi, les entretiens approfondis menés auprès d’une trentaine de ménages mettent en évidence la manière dont les informations délivrées participent largement d’une culture de l’Energie. Si elle ne conduit pas à des économies d’énergie immédiatement perceptibles, cette culture constitue un préalable indispensable à la compréhension des enjeux énergétiques par les ménages et de fait à leur engagement actif dans une démarche de maîtrise de l’énergie. Ces résultats invitent donc à considérer l’évaluation de l’efficacité des dispositifs d’affichage des consommations non plus sous l’angle unique des économies d’énergie à court terme mais également sous celui, beaucoup plus stratégique à long terme, de l’accompagnement au changement.

MOTS CLÉS : information, consommation d’énergie, culture de l’énergie.


Vers une ethnographie filmique de la sobriété énergétique. Présentation de trois études de cas.

RAMIREZ Violeta (Université Paris Ouest Nanterre La Défense)

Le mode de vie actuel, très énergivore et fortement dépendant des énergies fossiles, entraîne de lourdes conséquences sur notre environnement actuel et sur la qualité de vie des générations futures. Le constat que le modèle d’une croissance perpétuelle est illusoire et néfaste, est devenu une évidence pour une partie de la population. En effet, des personnes ont pris acte de la situation de crise écologique et se sont orientées dans une voie alternative, celle de la frugalité. Ils réfléchissent et modifient leur façon de vivre au quotidien : logement, transport, alimentation, gestion des déchets, etc. Autant de leviers d’action concrets qu’ils conjuguent avec le souci de sobriété.
A partir des outils méthodologiques de l´anthropologie visuelle, nous réalisons une ethnographie filmée de ces individus, avant-gardistes au regard de leur mode de vie respectueux de l’environnement. Nous filmons et interrogeons ces personnes au sujet de leurs pratiques quotidiennes : approvisionnement d´aliments et d´objets, gestion de leurs déchets, déplacements, production d´énergies renouvelables, etc. Dans cette communication, nous présenterons trois profils d´individus engagés dans la sobriété énergétique, avec l´objectif de décrire leurs pratiques quotidiennes, rendre compte des motivations personnelles à l´origine de l´adoption de ce mode de vie et saisir les imaginaires de futur associés à ces pratiques.

MOTS CLÉS : décroissance, sobriété énergétique, anthropologie visuelle, ethnographie filmique, crise écologique.