FÉDÉRATION D’ACTEURS / EMPOWERMENT (Atelier)

AXE ENGAGEMENT, MOBILISATION, CONCERTATION

La transition énergétique est-elle émancipatrice ?

Rémi ZANNI (Université Paris Diderot – Paris 7/LCSP)

Cette communication a pour but de questionner le caractère émancipateur de la transition énergétique ou, pour être plus précis, de savoir si le projet qui entend la mettre en place peut nous rendre plus libres ou plus autonomes.
La question peut tout d’abord paraitre absurde. En effet, l’émancipation n’est en rien le but de la transition énergétique pensée sous l’auspice de l’écologie dominante, du développement soutenable. L’enjeu est autre : il s’agit de la sauvegarde de nos ressources naturelles, il s’agit de pouvoir continuer à évoluer dans un environnement où la survie est possible. L’énergie n’intervient ici qu’en tant que sa production tend à rendre la terre inhabitable ; il nous la faut rendre renouvelable et plus efficace. Le problème est technique et il faut, pour le penser d’un point de vue social, questionner l’acceptation et la mise en œuvre de sa solution par les populations.
C’est cette conception unifiée, technique, de l’énergie qui s’avère remise en cause par la pensée d’Ivan Illich. Ne la penser que de manière quantitative, calorifique, empêche de distinguer celle qui provient des corps – l’énergie métabolique – et celle, issue des forces naturelles, que nous détournons à notre profit – l’énergie exogène. Or, selon Illich, quand la seconde – qu’elle soit propre ou polluante, rare ou abondante – parvient en position dominante, instaurant ainsi un « monopole radical », elle nous empêcher d’user de la première et nous oblige alors à intégrer la « mégamachine », à nous soumettre à un système technicien dominé par l’expertise et seul pourvoyeur d’énergie. Dès lors, une transition énergétique selon l’écologie politique radicale consisterait à inverser ce rapport de soumission et à politiquement nous réapproprier notre pouvoir de décider quelles énergies nous acceptons d’utiliser, quel degré d’aliénation nos sociétés veulent-elles tolérer. La transition énergétique illichienne apparait ici vectrice d’autonomie et, subséquemment, émancipatrice.
Ainsi, il n’existerait pas une mais deux transitions énergétiques. S’avèrent-elles compatibles ? Du point de vue de leurs buts, aucune antinomie n’affleure : la première poursuit la possibilité de survivre, la seconde celle de vivre une vie authentiquement humaine. Elles pourraient même s’avérer complémentaires, voire dialectiquement s’embrasser. Cependant, comme nous le rappelle Arendt, la question politique se niche bien davantage dans les moyens que dans les buts. Cette communication se terminerait ainsi par une confrontation des moyens employés par ces deux transitions énergétiques, c’est-à-dire par l’étude de leur compatibilité dans une perspective émancipatrice.

MOTS CLÉS : Ivan Illich, transition énergétique, émancipation, autonomie, écologie politique.


Participation citoyenne et gouvernance énergétique locale: une analyse sociologique des collectifs énergétiques citoyens dans les villes allemandes.

Thomas BLANCHET (École des Ponts Paris Tech/ LATTS)
Conrad KUNZE (Universität Halle-Wittenberg /Helmholtz-Zentrum für Umweltforschung)
Sören BECKER (Leibniz-Institut für Regionalentwicklung und Strukturplanung)

Cette étude a pour but d’explorer l’influence croissante de collectifs citoyens dans la gouvernance énergétique urbaine en Allemagne. Dans le contexte de la mise en place d’une politique nationale sur la transition énergétique (Energiewende), l’Allemagne connait une montée en puissance des acteurs locaux dans la gouvernance énergétique (gouvernements locaux, entreprises municipales). Parmi ces acteurs, les collectifs citoyens cherchent de plus en plus à prendre part de manière active à la conception du futur système énergétique. Jusqu’à présent, la question de l’émergence et de l’influence de ces collectifs citoyens dans la gouvernance énergétique urbaine n’a cependant été que très peu traitée. Quelles raisons expliquent l’émergence d’initiatives citoyennes et comment réussissent-elles réussir à influencer les politiques énergétiques locales ? Sous le terme « communauté énergétique », la littérature existante se concentre en général sur le caractère collaboratif de tels projets négligeant les conflits potentiels que peuvent susciter l’arrivée d’un nouvel acteur dans un champ déjà contrôlé par des acteurs établis (autorités municipales, opérateurs locaux).
A l’aide d’une série d’entretiens semi-directifs et d’une analyse de documents et adoptant une perspective de sociologie stratégique (Crozier and Friedberg, 1977; Fligstein and McAdam, 2012), cette étude se concentre sur l’émergence et le développement de ces collectifs citoyens et de leurs interactions avec les différents acteurs en place au sein de cinq municipalités allemandes (Berlin, Hambourg, Jena, Aix-la-Chapelle, Leipzig). Les résultats de cette étude révèlent que bien que les débats nationaux sur la transition énergétique ont été un facteur important pour le développement de ces collectifs, leur émergence est plus le produit d’une insatisfaction concernant la politique énergétique locale, les menant ainsi à vouloir imposer un programme alternatif de production et/ou de distribution de l’énergie à l’échelle locale. Pour cela, les citoyens peuvent s’appuyer sur une diversité d’instruments organisationnels (coopératives, referendums locaux, obligations d’épargnes). Pour finir, cette étude montre que le succès de telles initiatives citoyennes varie largement en fonction de la régulation locale, de la stratégie qu’ils adoptent et des relations de coopérations et/ou conflits établies avec les acteurs en place.

MOTS CLÉS : initiatives citoyennes, gouvernance locale, empowerment, transition énergétique, privatisation.


Opinion publique ou opinion des publics : qui s’engage et comment s’engage-t-on dans les questions d’énergie ?

Jérémy BOUILLET (Université de Grenoble/UMR PACTE ; EDF R&D)

En matière d’énergie, les injonctions normatives à faire des économies sont nombreuses et souvent articulées autour de la diffusion de « bonnes pratiques ». Un présupposé instrumental commun -assez développé au sein de politiques publiques- estime qu’il suffit que le citoyen soit doté de la « bonne » connaissance pour agir « correctement ». Or, les citoyens ordinaires ne sont ni incompétents, ni surcompétents ; ils adhèrent plus ou moins à des ordres normatifs concurrentiels et bricolent ces injonctions de manière à les rendre compatibles avec leurs valeurs et intérêts, leurs modes de vie et les dispositifs sociotechniques auxquels ces modes de vie sont adossés.
Face au constat de la complexification des enjeux de la « Grande Société » (selon les mots de Graham Wallas) qui coupe les citoyens ordinaires d’une compréhension immédiate et intuitive de la vie publique, John Dewey proposait une lecture du monde social moins « donné » que « in the making ». Ainsi, alors que certains citoyens déploient des efforts considérables pour éviter leur confrontation à certains problèmes publics –en partie, mais pas uniquement, du fait de leur complexité–, d’autres font le constat de ce qui les affectent et des conséquences aussi inattendues qu’involontaires de phénomènes qui dépassent leur seule action. Ils se constituent alors en publics, faisant le constat de l’importance de l’enjeu et du dérèglement que le problème représente, et sont poussés à lui trouver des solutions.
Ces publics s’engagent alors dans un certain nombre d’activités discursives qu’il s’agit de prendre au sérieux comme des activités sociales comme les autres. Reprenant certaines intuitions du pragmatisme, la communication propose alors de regarder comment les citoyens discutent la légitimité du problème public de l’énergie à travers ses mises en forme narratives et le degré d’adhésion qu’elles suscitent ; comment la mise en scène, en récits et en arguments des questions d’énergie est diversement appropriée par un « citoyen ordinaire » dont les pratiques répondent également à d’autres contraintes, notamment d’utilisateur et de consommateur.
Cette communication a également une dimension méthodologique : alors que l’approche par les « bonnes pratiques » se contente d’observer la progression ou la régression du thème de l’énergie dans l’opinion, et d’apprécier ou de déplorer l’évolution des grands indicateurs des sondages, une approche par les publics redonne sa place à la typicité et à l’importance pour les individus des enjeux énergétiques. Il ne s’agit plus de débusquer l’opinion latente sur les enjeux énergétiques mais bien de comprendre les mécanismes de son élaboration.
Ce travail s’appuie sur l’analyse de questions ouvertes menées sur deux sondages en région PACA en 2009 et 2013.

MOTS CLÉS : public, Dewey, problème public, opinion publique, compétence politique.


L’empowerment dans le domaine de l’énergie ou l’implication active des usagers aux mutations énergétiques.
Jean DANIÉLOU (CRIGEN/GDF SUEZ)
Nadjma AHAMADA (CRIGEN/GDF SUEZ)
Simon BOREL (CRIGEN/GDF SUEZ)

La question de l’empowerment, ou du rôle et du poids accordés à l’implication et à la participation des citoyens-usagers dans les projets énergétiques est une question majeure qui intéresse et mobilise l’attention d’un grand groupe comme GDF SUEZ. Pleinement investis dans les enjeux et objectifs de la transition énergétique (rénovation thermique des bâtiments, bâtiments à énergie positive, nouveaux matériaux éco-efficaces, résorption de la précarité énergétique, gestion technique des bâtiments, etc.) du Big Data et du Smart (metering/grids/city/building), les énergéticiens sont confrontés à deux questions majeures à la fois complémentaires et parfois contradictoires. D’une part, comment responsabiliser les usagers-consommateurs du point de vue des dépenses et consommations énergétiques et comment les faire gagner en maîtrise de l’énergie ? D’autre part, comment faire face à la montée en puissance des revendications et des préférences individuelles émanant des citoyens-consomacteurs (et/ou pro-amateurs) et de la société civile ? On est ainsi face à une double figure : celle d’un usager consumériste et individualiste à responsabiliser, et celle d’un consommateur citoyen impliqué et déterminé à faire entendre son point de vue et à devenir coproducteur/codécideur des projets qui le concernent. Dès lors, cette contribution entend explorer les raisons et motifs pour lesquels les énergéticiens prennent en compte ces exigences et dynamiques nouvelles et les façons dont ils les intègrent à leurs projets et objectifs énergétiques. Deux champs seront ainsi explorés en appui sur des exemples empiriques concrets :
- le champs de l’innovation technique : la question de la co-construction des services et projets d’innovations technologiques dans la conception, la mise en œuvre et le déploiement des Smart Grids (cf. le projet Greenlys) ; et, de manière prospective, l’émergence d’un modèle dans lequel chaque usager/logement/bâtiment/ville/territoire deviendrait potentiellement une unité autonome et intelligente de production et de consommation en matière énergétique ;
- le champs organisationnel : Le dépassement de la culture organisationnelle verticale / centralisée / planifiée au profit de logiques collaboratives / distributives / horizontales / décentralisées notamment au travers des politiques d’entreprises visant à reconnaître les capacités, les aptitudes, les compétences des pro-amateurs (appels à participation/propositions/retours d’expérience/besoins en ligne des usagers-acteurs de l’énergie).

MOTS CLÉS : empowerment, smart grids, économie distributive, intelligence collective, consom’acteurs.


L’investissement des associations environnementales dans le pilotage des coopératives énergétiques : vers une professionnalisation des modalités participatives?

Guillaume CHRISTEN (Université de Strasbourg/SAGE – UMR 7363 CNRS)

Cette contribution propose d’éclairer la mise en œuvre d’un dispositif participatif dans le domaine de la transition énergétique. En effet, l’enjeu ne consiste plus à réaffirmer la primauté du social sur la technique, mais d’interroger désormais les possibilités d’une réappropriation sociale des enjeux énergétiques par un nombre important d’acteurs. Notre communication revient sur la mise en œuvre d’un projet d’éolien citoyen, dont la dimension participative est d’associer les usagers à la transition énergétique via un dispositif d’actionnariat populaire. L’organisation de cet instrument est alors déléguée à des acteurs associatifs et militants experts, en matière de projets coopératifs. Plus précisément, notre attention se focalise sur cette délégation, qui est alors révélatrice du statut des associations environnementales, qui jouent un rôle croissant d’expert auprès des pouvoirs locaux, voire se substituent aux autorités locales dans la mise en œuvre de projets (Lascoumes, 1994 ; Hamman et Blanc, 2009). Ces acteurs associatifs qui pilotent les projets coopératifs et en définissent les modalités participatives, s’organisent sous la forme d’une « communauté de spécialistes » et prennent la forme d’une « élite associative » (Hajek, 2009). Notre propos entend questionner ce processus de professionnalisation et ses conséquences quant aux possibilités de mettre la question de la transition énergétique à la portée des acteurs ordinaires. D’un point de vue méthodologique, nous avons conduit plusieurs séries d’entretiens auprès des habitants (soit trente entretiens) et des porteurs de projet (élus, techniciens, soit une dizaine d’entretiens). En termes de résultats, on remarque que la professionnalisation des référentiels donne un caractère relativement fermé aux modalités participatives. Le confinement de l’actionnariat populaire à une « expertise politico-administrative » (Claeys-Mekdade, 2006), qui concerne l’ensemble des ressources administratives et juridiques, essentielles au pilotage du projet éolien, est à l’origine de rapports inégaux à l’instrument. Ces appropriations différenciées, sont-elles révélatrices de formes émergentes d’inégalités ? Celles-ci se traduisent dans des capacités inégales de participation et de mobilisation autour de projets environnementaux (Chaumel et La Branche, 2008) ou à des inégalités de contribution (Gadrey, 2007) à s’engager dans la transition énergétique.

MOTS CLÉS : associations environnementales, coopérative énergétique, expertise, démocratie environnementale, inégalités écologiques.


Agréger et retrancher : l’art de faire croître sans faire périr des collectifs solaires coopératifs.

Antoine FONTAINE (Université de Grenoble/PACTE ; CIRED)
Olivier LABUSSIERE (Université de Grenoble/PACTE)

Cette communication propose d’exposer de premiers résultats de recherche produits dans le cadre d’une thèse consacrée à une expérience pilote, celle des Centrales Villageoises Photovoltaïques (Rhône-Alpes, France).
Cette expérience constitue un cas pionnier en France de portage coopératif de panneaux photovoltaïques intégrés au bâti. Elle se déroule sur huit territoires de cinq Parcs naturels régionaux de la Région Rhône Alpes. Financée par l’Europe et la Région Alpes, animée par l’association Rhône-Alpes Energie Environnement, elle vise à promouvoir un modèle de développement du photovoltaïque respectueux des territoires autant qu’un levier possible de leur développement. En cela, elle prend explicitement le contre-pied d’une politique solaire française rendue problématique par l’intéressement financier et spéculatif qu’elle a pu susciter.
Cette communication propose un angle précis, celui de comprendre comment à partir de configurations matérielles, sociales, juridiques qui confèrent à une toiture une existence souvent individuelle et exclusive (celle de la propriété), peut émerger une démarche collective, voire une constitution de la ressource solaire comme un « commun ». Comment poser un œil neuf sur la matérialité du bâti, comprise comme ressource clef pour développer des panneaux photovoltaïques en commun, et ouvrir un espace collectif de négociation des choix incluant de nouvelles dimensions (architecture, paysage) ?
L’analyse décrit les processus d’ « attachement » (au sens de la sociologie des sciences et techniques) des toitures au soleil, à l’architecture, au paysage, à la façon dont un groupe d’habitants conçoit « son » esprit coopératif. Elle suit la façon dont ces attachements, en ce qu’ils participent de la construction de ‘sites’ prometteurs, induisent des processus de différenciation spatiale, qui sont aussi des étapes de constitution du collectif. Ces expérimentations font face aux contraintes imposées par le dimensionnement du tarif d’achat (i.e. inégale rémunération des toits publics et privés) et celui du réseau de distribution électrique (i.e. coût du raccordement, incidence sur la rentabilité du projet). L’analyse suit les processus de réajustement de ces collectifs coopératifs en émergence : soit en modulant l’ambition quantitative de départ tout en préservant un potentiel solaire pluridimensionnel (architecture, paysage…) et solidaire, soit par un éclatement du collectif au bénéfice d’une réaffirmation de logiques individuelles (rentabilité).
Si les expériences de coopératives d’énergies renouvelables suivent souvent des trajectoires incertaines, cette communication contribue à leur analyse en mettant la focale sur le rôle des outils (méthode d’évaluation de gisement solaire, des enjeux paysagers…) élaborés chemin faisant et à leur portée souvent négligée quant à leur capacité à maintenir ou non un abord du soleil comme ressource « commune ».

MOTS CLÉS : Énergie solaire, Coopératif, Territoire, Attachements.


La participation du public au projet d’énergies renouvelables sur l’île de Samsoe: Une entreprise réussie? Une question de perspective.

Irina PAPAZU (Université de Copenhague/Département de Science Politique)

Jusqu’en 1997 l’île de Samsoe au Danemark n’attirait en rien l’attention. Avec ses 4 000 habitants, l’île n’était qu’un lieu vivant de l’agriculture et du tourisme. Ce qui l’a rendue mondialement célèbre, c’est le projet d’énergie renouvelable, sous forme de moulins à vent, panneaux solaires et chauffage urbain.
Le processus de dé-carbonisation de la plupart des aspects de la vie sur l’île a exigé un sentiment fort d’appartenance à la communauté, ainsi qu’un effort d’engagement dans des projets ayant trait à l’emploi de l’énergie renouvelable. L’île de Samsoe est aujourd’hui aussi célèbre pour son engagement communautaire que par ses centrales d’énergie renouvelable.
Cette communication présente une analyse des processus qui ont mené à un engagement communautaire dans les projets ayant pour but l’emploi de l’énergie renouvelable. Nous nous intéressons aux aspects pratiques et matériels qui ont joué un rôle dans la redynamisation graduelle de la collectivité locale.
Samsoe n’est pourtant pas unanimement considérée comme une communauté énergétique réussie. Les critiques affirment que les habitants de l’île n’ont pas suffisamment pris conscience de leur position en tant que consommateurs d’énergie, et ceci parce que le projet a mis l’accent sur le changement de source d’énergie et non pas sur la quantité d’énergie consommée. La présente communication s’interroge sur la pertinence de cette critique et discute les différents critères de succès (ou d’échec) quant à la participation communautaire, en vue d’une meilleure compréhension des projets énergétiques publics ou citoyens.
En ce qui concerne la théorie, la communication se fonde sur le concept et la théorie de « la participation matérielle », développée par, entre autres, Bruno Latour, Noortje Marres, Kristin Asdal, dans le domaine des études de “Science et Technologie”. Pour ce qui est de la méthodologie, nous nous basons sur les données qualitatives fournies par notre travail de terrain de cinq mois sur l’île de Samsoe.

MOTS CLÉS : transition énergétique, participation du public, politiques matérielles, communauté, énergies renouvelables.


La prospective citoyenne pour impulser une dynamique de transition énergétique et sociétale.

Mathieu LE DÛ (association Virage-énergie Nord-Pas de Calais)

L’association Virage-énergie Nord-Pas de Calais a engagé en 2012 un projet de recherche visant à élaborer des scénarios de prospective énergétique focalisés sur la maîtrise de l’énergie par la sobriété et l’efficacité énergétiques, et sur l’offre potentielle d’énergies renouvelables en région Nord-Pas de Calais. Ce projet est mené grâce au soutien financier du Conseil Régional Nord-Pas-de-Calais et de l’ADEME, en collaboration avec deux laboratoires de recherche universitaire : le laboratoire Territoires, Villes, Environnement et Société de l’université de Lille 1 et le laboratoire Ceraps de Science Po Lille. Pour élaborer ces scénarios, Virage-énergie Nord-Pas de Calais mobilise les citoyens dans le but de construire collectivement une vision fédératrice d’un futur possible et souhaitable. La sobriété, entendue comme une démarche volontaire et organisée de réduction des consommations d’énergie par des changements de modes de vie et des transformations sociétales, constitue le pilier de cette réflexion. En abordant les usages de l’énergie dans la vie quotidienne, mais aussi par le prisme des organisations économiques et sociales, des groupes de travail composés de chercheurs, de bénévoles et de salariés associatifs se concertent pour analyser les enjeux, proposer des alternatives ancrées régionalement et en évaluer les effets potentiels. La communication proposée exposera la méthodologie de prospective citoyenne employée pour élaborer ces scénarios et leurs principaux résultats. Elle présentera également la finalité de cette démarche associative : impulser une dynamique collective de réflexion et de changement en constituant des outils d’aide à la décision publique et des moyens de sensibiliser les citoyens aux enjeux énergétiques et aux bénéfices de la sobriété énergétique.

MOTS CLÉS : Prospective citoyenne, scénarios énergétiques, sobriété, transformations sociétales, politiques publiques.


Déployer la “smartness” dans les réseaux énergétiques à travers d’une approche de co-conception à l’échelle de quartier urbain.

Dario PADOVAN (Università di Torino)
Osman ARROBBIO (Università di Torino ; IRIS Interdisciplinary Research Institute on Sustainability)

Pour gérer la transition énergétique vers un système plus durable, un nouveau, très complexe et auto-équilibrant système énergétique appelé «Smart Grid» a été lancé. Le concept de « smart grid » identifie un processus de définition et de développement de technologies de contrôle intelligents pour contrôler et coordonner, dans une façon flexible, la consommation d’énergie afin de maintenir un équilibre entre la production et la consommation dans l’ensemble du système énergétique. La vision et le développement d’un réseau intelligent sont influencés par les irréconciliables intérêts et objectifs des acteurs impliqués dans le réseau même, ce qui rend les résultats des réseaux intelligents très faible jusqu’à ce moment et ne contribue pas à réaligner et rapprocher fournisseurs, distributeurs et utilisateurs. Ceci est une des raisons pour laquelle, malgré la pléthore de R&D et des projets de démonstration, très peu a été accompli en termes de réalisation des visions de réseau intelligent. Il existe encore un écart entre les idées du futur système de réseau intelligent et la mise en pratique de ces idées. Cette communication vise à contribuer à combler cette lacune en développant un système de gestion de réseau intelligent au niveau de quartier urbain. En outre, l’intégration des technologies de l’information et des capteurs de toutes sortes permet la collecte d’une quantité croissante de données. Trouver les lieux et les rôles appropriés pour les données et les capteurs est l’autre défi majeur à traiter si on veut que le déploiement de la « smartness » dans les systèmes énergétiques soit atteint.
Dans cette communication, les résultats d’une recherche qualitative centrée autour d’un système de chauffage urbain seront discutés. Cinquante entretiens et six groupes de discussion ont été menés à Turin (Italie), ville où près des deux tiers de la population est desservie par le chauffage urbain. Des experts de différents horizons, des citoyens, ainsi que les représentants du Conseil municipal ont été impliqués dans un projet visant à la création, a moyen d’un travail de co-conception, de outils pour la visualisation et la simulation de information et données liées aux questions énergétiques et thermiques au niveau du quartier. On a pour ça cartographié les caractéristiques des actants humains jouant actuellement un rôle dans le réseau de chauffage urbain, les dispositifs techniques actuels et imaginés, les relations qui les lient les uns aux autres, les problématisations dont ils sont porteurs.

MOTS CLÉS : smart grids, chauffage urbain, systèmes socio-techniques, energy feedbacks, co-conception.


La définition des usagers dans le développement des smart grids.

Georgia GAYE (Université Libre de Bruxelles /Centre d’Études du Développement Durable)
Grégoire WALLENBORN (Université Libre de Bruxelles /Centre d’Études du Développement Durable)

Dans le cadre de l’objectif 20-20-20 fixé par l’Union Européenne, la région Wallonne a décidé de financer le projet FLEXIPAC qui cherche à évaluer le potentiel de flexibilité des pompes à chaleurs (via la conversion d’électricité en chaleur). Comme le réseau électrique doit faire face à une part croissante de production d’énergies renouvelables intermittentes, il est nécessaire de trouver des processus d’équilibrages à la hausse et à la baisse sur le réseau basse et moyenne tension.
Nous avons installé des compteurs intelligents dans 70 ménages et 15 petites entreprises possédant tous une pompe à chaleur. Nous avons interviewé 29 participants à deux reprises, conduis 3 focus groups et réalisés plusieurs questionnaires en ligne. Nous avons confronté les déclarations des répondants à leurs actions afin de se focaliser sur leurs pratiques quotidiennes. Nous avons investigué plusieurs questions telles que : comment les usagers gèrent-ils leur confort thermique ? Comment utilisent-ils et s’approprient-ils leur système de chauffage ? Comment gèrent-ils leur consommation d’énergie ? Seraient-ils prêts à déléguer le fonctionnement de leur système à un opérateur extérieur ?
Sur base de ces observations, nous avons établi une segmentation de quatre principaux profils se référant à notre échantillon (bien que biaisé initialement) : l’économiste, le technicien, l’écologiste et le pondéré. Ces profils se réfèrent à plusieurs variables explicatives des pratiques observées permettant d’évaluer le potentiel de flexibilité en fonction des différentes logiques orientant leurs actions : pratiques écologiques, maitrise de la consommation d’énergie, flexibilité thermique, calcul économique, appropriation du dispositif technique, pratiques techniques, flexibilité et consommation d’énergie.
En analysant les différents profils, nous montrons notamment que le potentiel de flexibilité et de changement est plus grand chez les écologistes (attachés à des valeurs non monétaires), tandis que les économistes (qui correspondent au modèle de l’ « homo economicus ») sont peu intéressés par les économies d’énergie. Nous concluons que certains segments ne sont pas pris en compte dans le développement des politiques actuelles, qui reposent principalement sur des outils de prix, d’informations et de technologie. L’environnement, la participation ainsi que des aspects plus collectifs de la gestion de l’énergie ne sont pas pris en compte tandis qu’ils représentent le potentiel de flexibilité le plus important.

MOTS CLÉS : smart grid, théorie des pratiques, segmentation, usagers, flexibilité.


Les économies d’énergie saisies à l’aulne des pratiques discursives : une approche par la casuistique.

Mathieu BRUGIDOU (EDF R&D ; PACTE)
Michèle MOINE (Université de Grenoble/Laboratoire Jean Kuntzmann)

L’analyse de l’évolution des réponses à une question ouverte posée successivement en 2009 et 2013 à deux échantillons d’habitants de la région PACA (N=1866) sur les raisons de ne pas faire des économies d’énergie a mis en évidence ce que l’on peut qualifier de « desserrement normatif » : en 2013, les habitants de Paca sont sensiblement moins nombreux (moins dix points par rapport à 2009) dans leur discours à réprouver le fait de ne pas économiser d’énergie. Parallèlement, la proportion de répondants politisant dans leurs discours les questions d’économie d’énergie – en mettant en cause les solutions d’actions publiques (Zittoun, 2013) mises en œuvre – s’avère stable (autour de 6%). Dans une perspective pragmatiste, ce sont donc des énoncés neutralisant la charge normative (absence de stigmatisation) sans toutefois dénoncer explicitement le caractère injuste de ce type de solution qui progressent sensiblement (Brugidou et Moine 2010; Brugidou 2013). Le contexte politique et économique constitue une des clefs, lisible dans ces réponses, permettant d’expliquer ces évolutions, que l’on peut apparenter à des formes d’exit (Hirschman, 1970).
A partir de la présentation de ce dispositif d’enquête original et d’un premier état des lieux permettant d’identifier et de caractériser d’un point de vue sociolinguistique des pratiques discursives liées aux économies d’énergie, cette communication se propose d’explorer une autre hypothèse que la désaffection à l’égard de la norme. Celle-ci voit dans l’examen par les personnes interrogées des conditions de l’exercice concret de la norme des raisons légitimes de différer ou d’aménager son application. Deux types d’arguments peuvent venir soutenir cette assertion :
- un argument empirique mis en évidence par l’analyse des données textuelles. L’analyse montre une focalisation plus forte en 2009 qu’en 2013 des énoncés sur le thème des économies d’énergie. Les répondants évoquent moins le principe de la norme que ses conditions concrètes d’application et les difficultés éventuelles qu’elles entraînent. Bien que les répondants stigmatisent moins les déviances et politisent toujours marginalement les questions d’économies d’énergies, ils en parlent néanmoins davantage et plus précisément, leur compétence linguistique thématique progressant entre 2009 et 2013.
- un argument théorique issu de la « nouvelle casuistique » et relevant de la sociologie morale. Selon A. Jonsen et S. Toulmin (1988), « l’ambition [des casuistes] n’est pas d’élaborer ou d’appliquer des principes pour décider [de questions en rapport avec la justice sociale] : ils se proposent simplement de construire une solution acceptable à un problème ponctuel » (Goffi, 2001, p106). A rebours de l’argument Pascalien reprochant à la casuistique son approche intentionnelle et finalement son laxisme – l’intention pure exemptant des effets néfastes de l’action -, la nouvelle casuistique fait de l’examen des circonstances multiples de l’action – et non de la conscience – les conditions d’une actualisation de la norme, voire de son évolution.
Dans cette perspective, le « desserrement normatif » constaté serait à interpréter non comme un recul mais au contraire comme une forme d’approfondissement collectif, une « descente en généralité » (Rosanvallon, 2007-2008, p. 464) à travers l’exploration tous azimuts des conséquences des politiques d’économies d’énergie par les publics de ces politiques.

MOTS CLÉS : Économie d’énergie, norme sociale, énoncés de politique publique, public, pratiques discursives.